Discours du Premier ministre congolais à l’Académie des sciences d’Outre-mer (Paris le 2 juin 2023)

Samedi 3 Juin 2023 - 13:44

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Monsieur le président,

Monsieur le secrétaire perpétuel,

Chères consœurs, chers confrères,

Mesdames, messieurs,

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
. »

Mesdames, messieurs,

Acceptez que j’entame mon propos par ces beaux vers de Charles Baudelaire sur la mer qui résonnent comme un hymne dans cette Académie des sciences d’Outre-Mer dont nous célébrons le centenaire. 

Au moment d’être admis dans cette prestigieuse institution, je mesure l’honneur qui m’est fait et dont ma faible éloquence ne permettra pas de traduire la profondeur.

 C’est en réalité un triple honneur pour moi. En effet, outre mon installation à un moment si particulier de l’histoire de notre institution, il s’agit d’un double clin d’œil du sort : celui du rapport personnel que j’entretiens avec la mer, de par mon lieu de naissance et celui de l’Histoire de mon pays, la République du Congo, qui porte avec dignité son passé migratoire et colonial. Un passé qu’il assume pleinement et sans complexe, au point d’avoir ramené sur ses terres, les restes mortels de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, d’avoir donné son nom à la ville capitale, Brazzaville, et d’en avoir fait la capitale de l’AEF, puis celle de la France libre, alors sous occupation allemande.

 Avec vous aujourd’hui, je voudrais assumer ce passé migratoire et colonial, pour qu’ensemble, pour qu’ensemble, au nom de la civilisation universelle, nous puissions « panser les plaies d’hier, repenser la paix aujourd’hui et mieux penser le monde de demain ».

 Mais au préalable, permettez-moi de remercier du haut de cette tribune, MM. Roland Pourtier et Pierre Gény, respectivement président de l’Académie et secrétaire perpétuel et, avec eux, l’ensemble des membres du Collège électoral, pour avoir accepté, en comité secret, de m’adopter en leur sein.

Monsieur le président, votre portrait m’a tellement ému que j’ai tout de suite réalisé votre parfaite connaissance de mon pays, de ses hommes et de sa biodiversité. Je vous en sais gré.

Mes remerciements vont également à l’endroit du général Alain Lamballe, membre titulaire de cette Académie dont il a présidé la deuxième section, pour avoir porté et soutenu ma candidature, ainsi qu’à Me Emmanuel Caulier qui me l’avait fait rencontrer, il y a plus d’une décennie et qui, à l’origine de ma candidature, n’a de cesse de s’impliquer avec bonheur et efficacité dans les relations franco-congolaises à divers niveaux.

 En cet instant précis, je voudrais témoigner ma profonde reconnaissance à mon directeur de thèse de doctorat, M. Didier Rebut, au président du Jury, le Pr Yves Mayaud et à toute son équipe, ainsi qu’à tous ceux qui, à divers niveaux, ont supervisé mes différents travaux de recherche à l’instar de Moïse Sola, Delphine Edith Emmanuel Adouki, Placide Moudoudou, Philippe Bonfils, Dieunedort Nzouabeth, Aristide Badji, et bien d’autres.

 L’occasion me semble aussi indiquée de rendre hommage à un grand homme d’État, son excellence M. Denis Sassou N’Guesso, président de la République du Congo, qui m’a inscrit à son école de vie, depuis plus d’un quart de siècle et qui, année après année, suit ma marche, me forge chaque jour pour acquérir le statut et la stature qui me valent aujourd’hui de parler devant vous.

Je n’oublie pas sa chère épouse, Mme Antoinette Sassou N’Guesso, première dame du Congo, dont le rôle a été déterminant dans cette marche sur le boulevard de l’accomplissement académique qui m’honore aujourd’hui.

 Je voudrais saisir aussi cette occasion, pour exprimer ma profonde reconnaissance et mes sincères remerciements à tous mes invités, pour avoir honoré de leur présence cette cérémonie d’installation, et particulièrement à M. Jean Dominique Okemba, conseiller spécial du président de la République, secrétaire général du Conseil national de sécurité, homme de la mer de par son appartenance au corps de la marine.

Permettez-moi, enfin, avec beaucoup d’émotions, une fois n’est pas coutume, d’adresser un regard attendri à mon alliée de tous les temps, mon alliée de cœur et de corps.

Merci ma chère et tendre épouse pour ton indéfectible et infaillible soutien et merci aux enfants.

 Pardonnez-moi d’avoir si longuement exprimé ma gratitude aux uns et autres. Mais, il m’a été enseigné que savoir dire ce petit mot Merci est un impératif catégorique pour l’honnête homme.

 Je voudrais à présent nous inviter à « Panser les plaies d’hier, repenser la paix aujourd’hui pour mieux penser le monde de demain ».

Commençons par panser les plaies d’hier.

Lesquelles, me direz-vous ? Ces plaies sont celles de notre passé commun. Ainsi que je l’ai rappelé dans un panel lors du colloque du centenaire dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, je suis né non loin de la baie de Loango, un site historique de la traite négrière, d’où furent déportés plus de deux millions des miens, vers les terres lointaines, de l’autre côté de l’immense Océan atlantique.

Chaque fois que j’accompagnais mon père pêcher au filet à la mer, nous empruntions « la route des esclaves » ou ce qu’il en reste, et de son doigt orienté vers l’horizon, il me montrait, en m’expliquant, la voie maritime empruntée, des siècles durant, entre 1500 et 1867, par mes lointains arrières grands-parents, en direction de l’Outre-mer.

Devenu adulte, à force d’y penser, je souffre de voir des milliers d’humains, empruntant les mêmes voies que leurs ancêtres, dans l’espoir de rejoindre l’Europe, périr en mer, sous notre regard indifférent, et avec eux l’ensemble de valeurs d’hospitalité, d’humanisme et d’universalisme, que nous avons tous désormais jetées par-dessus bord.

Je ne souhaite pas ressasser l’histoire d’un passé douloureux qui s’efface difficilement. Je souhaite encore moins m’enfermer dans la victimisation. Je voudrais juste que nous nous rappelions tous, en toute humilité, notre histoire, que nous puissions l’écrire dans toute son impudicité, et l’assumer en toute responsabilité, de sorte que chacun de nous puisse la transmettre dignement et sereinement aux générations futures. Car le présent sans le passé est stérile et le présent sans le futur est aveugle.

Le musée de la mémoire et de l’esclavage qui va être construit dans mon pays sur la baie de Loango, au bout de la route des esclaves en pleine reconstitution, renseignera utilement l’histoire de ces siècles de meurtrissures qu’il nous faut pardonner.

Pardonner ! le mot est lâché. C’est Nelson Mandela qui nous en donne, par sa vie, l’exemple le plus illustratif de l’histoire contemporaine. Je l’entends dire, je cite : « Des gens courageux ne craignent pas le pardon, au nom de la paix ». C’est cela panser les plaies d’hier.

 Après quoi, il nous faut repenser la paix aujourd’hui ».

« Gloire au Très-Haut et Paix sur la Terre aux Hommes de bonne volonté ».

Il y a plus de 2000 ans, l’un des premiers hommes de bonne volonté de notre humanité naissait et était accueilli par ces mots bienveillants que reprend Luc dans son Évangile.

Et plus tard, il y a également plus de 1452 ans, un autre homme de bonne volonté prêchera une religion de paix dans le lointain orient et le Dieu du Coran a fait de la paix, la salutation des croyants avec la formule « As Salam aleykoum».

Mais bien avant tout cela, il y a environ 2500 ans, naissait le Bouddha dont on a célébré, le 5 mai 2023, dans le monde entier et aux Nations unies, la fête de Vésak, jour sacré pour des millions de bouddhistes. Ici, l’enseignement porte sur des préceptes qui induisent une posture où la conflictualité sous toutes ses formes est abolie et où la paix pour soi et pour autrui, est la vertu cardinale.

À la vérité, la quête d’une paix permanente a toujours traversé toutes les doctrines, qu’elles soient religieuses ou philosophiques.

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, des hommes de bonne volonté, de toutes les civilisations, ont créé l’Organisation des Nations unies (ONU). Ils ont gravé sur le monument érigé dans les jardins de son siège, ce serment biblique tiré du livre d’Esaïe : « il sera le juge des nations, l'arbitre d'un grand nombre de peuples. De leurs glaives ils forgeront des hoyaux, et de leurs lances des serpes : une Nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on connaîtra la paix ».  Heureux ont-ils été, les artisans de la paix. Ils s’appellent Winston Churchill, Franklin Roosevelt, et bien d’autres, ces hommes de bonne volonté qui ont pris l’engagement de soumettre aux autres dirigeants du monde l’idée de la création d’une organisation dont la   mission principale est d’imposer et de maintenir la paix dans le monde.

Soyons donc tous, autant que nous sommes dans cette salle, des hommes de bonne volonté en quête perpétuelle de paix, à l’image, de ceux qui ont œuvré à la création de l’Académie des sciences d’Outre-mer.

C’est ici le lieu de rendre hommage à Paul Bourdarie, Maurice Delafosse, Alfred Martineau, Albert Lebrun, Gabriel Hanotaux, Paul Doumer et avec eux, les 38 personnalités qui nous ont légué cet héritage.

En ce XXIe siècle bien entamé, qu’avons-nous fait du projet de paix perpétuelle auquel nous invitait le philosophe allemand Emmanuel Kant ?

 Qu’avons-nous fait des promesses de paix des fondateurs de l’ONU ?

Que léguerons-nous à nos enfants ?

Un monde de conflit permanent, affecté par le terrorisme, la pauvreté et la destruction de la nature ?

Le temps n’est-il pas venu de tourner la page d’un présent chaotique fasciné par la violence, tirer les leçons qui s’imposent et repenser la paix ?

Pour cela, il nous faut commencer par accepter de renoncer à la volonté de puissance.

Le grand Thucydide nous a parfaitement enseigné le processus d’affirmation de la puissance : une cité commence par s’armer pour ne pas tomber sous l’oppression d’une autre cité ; une fois dotée d’un outil militaire puissant, elle vient au raisonnement qu’elle sera encore mieux protégée si elle faisait passer sous sa tutelle les cités voisines. Elle devient ainsi impérialiste en n’ayant cherché au départ, qu’à se défendre.

 Mesdames, messieurs,

La paix juste et noble est une paix entre égaux dans un monde où certains ne doivent pas toujours gagner et soumettre.

La paix juste et noble est une paix dans laquelle les uns n’usent nullement du droit et valeurs pour intervenir chez autrui.

La paix juste et noble suppose que se construisent de nouveaux rapports de coopération équitable et éthique. C’est un préalable pour mieux penser le monde de demain.

 Oui ! Penser le monde de demain

Notre rapport au futur est aujourd’hui objet d’angoisses et d’attentes diverses. Les liens sociaux sont rompus. Les relations entre les Hommes sont hypocrites. Les relations des Hommes avec la nature périclitent.

Le monde de demain passe par le dialogue entre les Hommes et avec la nature.

 D’abord, entre les Hommes.

Nous avons trop longtemps accepté de prendre pour du dialogue ce qui n’était que le choc de monologues ! L’heure est arrivée d’un vrai dialogue, seul susceptible de fonder la paix dans le cœur des Hommes. Car, comme on le sait à l’Unesco : « La guerre prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est donc dans les esprits des hommes que doivent être élevées, les défenses de la paix ».

L’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, nous donne, d’ailleurs, la recette pour établir la paix. Les hommes doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

La fraternité, voilà un mot qui résonne avec force dans mon âme d’Africain, car les liens de parentés sont entièrement contenus dans ce mot puissant.

Martin Luther King ne disait-il pas : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » ?

 Mais, dialoguer entre Hommes ne suffira pas à fonder la vraie et juste paix, il faut que les Hommes réapprennent à dialoguer avec la nature.

Mesdames, messieurs,

Notre environnement est menacé. Les zones humides qui donnent à l’homme beaucoup de richesses disparaissent à grande vitesse. Lacs, rivières, marais, étangs, tourbières, mangroves sont détruits ou s’assèchent à un rythme accéléré. La guerre de l’eau s’annonce. Les réfugiés climatiques inondent le monde.

La véritable paix suppose une communion entre l’homme et son environnement. La rupture de la paix survient lorsque l’homme traite avec mépris sa Mère nourricière : Gaïa, la nature.

En 1855, le chef indien Seattle, un autre homme de bonne volonté, écrivait au président des États-Unis : « Chaque parcelle de la terre est sacrée pour mon peuple. Nous sommes une partie de la Terre et elle fait partie de nous… L’homme blanc traite sa mère, la Terre, et son frère le Ciel, comme des choses à acheter, piller ou vendre. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert… ».

Cette réalité, l’Afrique l’avait comprise depuis bien longtemps. En effet, en Afrique, nous entretenons un rapport ontologique avec la nature, elle est une expression du vivre ensemble, elle est le foyer de la première religion de l’humanité : l’animisme.

Denis Sassou N’Guesso nous dit : « Les arbres et nous sommes des frères, nous vivons grâce à eux, et eux vivent grâce à nous ».

Je viens d’une région, celle du Bassin du Congo, qui recèle en son sein, une partie de la réponse aux interrogations de demain.

 Le Bassin du Congo, dit Roland Pourtier, est l’allégorie d’une puissance contrariée, résultant à la fois d’une histoire tourmentée et des choix politiques parfois hasardeux. Le bassin du Congo est une des solutions, face aux défis énergétiques et alimentaires de demain. Le Bassin du Congo est, pour l’Afrique, une promesse de survie face à un monde en déliquescence, un monde incertain que nous voyons se construire sous nos yeux avec une science sans conscience. A nous d’en prendre pleine conscience.

 Monsieur le président,

Monsieur le secrétaire perpétuel

 A défaut de conclure,

2000 ans après la naissance du premier homme de bonne volonté, la paix s’est-elle installée dans le cœur des hommes et sur la terre ? Il semblerait que non.

Il est temps de repenser le modèle de construction de la paix. Un regard objectif demande à prendre en compte les efforts millénaires des traditions africaines dont l’objectif est de prévenir et de réguler les conflits pour maintenir l’harmonie de la société.

Dans mon pays, le « mbongui », synonyme de « lieu de palabre », est une juridiction de la parole. Sous la houlette d’un modérateur, consensuellement désigné et reconnu pour sa grande sagesse, pour son sens élevé de tolérance et de transcendance, le dialogue se crée, panse les plaies et apaise les esprits au point où, les protagonistes finissent par taire leurs égos, pour privilégier la tolérance à la belligérance.

Un grand Homme d’État français, Napoléon, disait : « Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit. À la longue, le sabre est toujours battu par l’esprit ».  

C’est justement l’esprit qui a guidé l’Afrique, dès le déclenchement de la crise libyenne, à proposer la gestion de la crise par le dialogue, plutôt que par la force. Une idée battue en brèche hier, mais qui a fait du chemin pour ouvrir enfin, sous peu, la voie à l’organisation de la conférence de réconciliation prélude aux élections libres.

C’est ce même esprit que la sagesse africaine a fait prévaloir depuis le déclenchement de la crise russo-ukrainienne, pour faire entendre raison à Kiev et à Moscou. C’est ici le lieu de saluer l’initiative des dirigeants africains, d’intervenir dans la crise russo-ukrainienne, non pas par le sabre, mais par l’esprit.

Je plaide pour que tous ici, autant que nous sommes, au sein de notre Académie, nous puissions soutenir cette troisième voie, la voie de l’Afrique, la voie de l’esprit, la voie de la raison, la voie de la paix pour que, les Nations belligérantes fassent de leurs glaives des hoyaux, et de leurs lances des serpes ; qu’elles rangent leur sabre et qu’elles fassent triompher l’esprit. Car la paix exige que nous les Hommes, dotés d’une intelligence au-dessus de tous les êtres, fassions preuve de grandeur d’esprit. Ne nous laissons pas vaincre par le mal mais soyons les vainqueurs du mal par le bien et promouvons les valeurs d’humilité, de solidarité et de fraternité pour le bien de l’humanité.

 Je vous remercie de votre aimable et patiente attention.

 

 

 

Par Anatole Collinet Makosso

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