Fête du livre : un jumelage entre Libreville et Kinshasa

Vendredi 1 Décembre 2017 - 19:00

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Janis Otsiemi a vécu la cinquième édition du festival de littérature avec un grand ravissement. Le romancier gabonais s’est réjoui d’avoir trouvé de réelles similitudes entre les jeunesses librevilloise et kinoise suite à l’interprétation de ses textes par les élèves du lycée français René- Descartes, lors de la clôture de l’événement, le 18 novembre.

Janis Otsiemi lors d’un échange avec des élèves à la 5e Fête du livreJanis Otsiemi avait donné le go de la lecture-slam avec le premier chapitre de son roman La bouche qui mange ne parle pas. Les élèves du lycée français René-Descartes, quant à eux,  n’avaient pas étudié une seule œuvre de l’auteur gabonais. Janis Otsiemi s’est, d’ailleurs, trouvé flatté de constater qu’ils étaient allés jusqu’à en « lire trois ou quatre ». C’est sur la base de ces ouvrages que s’est portée la lecture-slam dont les textes sont parus pour le romancier « comme tricotés, écrits avec leurs mots à eux et leur sensibilité, en parallèle avec leur histoire politique, culture et familiale ». Mais encore, trouvant ce moment à son goût, Janis ne s’en est pas caché : « Cette lecture m’a beaucoup plu, parce que je me suis toujours dit qu’en écrivant des livres où je parle du Gabon, il n’était question que des Gabonais. Mais là, ce soir, je me suis rendu compte qu’en parlant du Gabon, je parlais aussi des autres parce que, certainement les problèmes vécus au Gabon sont les mêmes que ceux de la jeunesse kinoise ici au Congo ».

Fort de ce constat il a affirmé : « Donc, cette cinquième fête du livre à Kinshasa a été comme un jumelage entre les villes de Libreville et Kinshasa. Un jumelage entre la jeunesse kinoise et la librevilloise. De toute façon, lorsqu’on écrit, on parle à l’humain, à l’humanité. Et, il se fait que les Kinois et Kinoises sont dotés d’une même humanité que la mienne ».

Pour Janis, la jeunesse de Kinshasa a soif de liberté, de démocratie, d’éducation et de vivre l’avenir. C’est l’impression que lui ont laissé les élèves du lycée français. Il a déclaré: « Au travers de mes livres, ils ont pu décoder la société dans laquelle ils vivent. Ils ont successivement parlé de la situation politique au Congo, de la corruption, des richesses du sous-sol qui ne profitent pas aux Congolais, ce qui est le problème avec le pétrole au Gabon. C’est une jeunesse dont les aspirations ont des concordances avec celles de la jeunesse gabonaise dont je fais partie. J’ai été assez content, de toute façon, la lecture est subjective, ils ont lu mes livres avec leur vision du monde, tout comme moi, j’écris ces livres avec ma vision du monde à moi ».

La société telle qu’elle est

Et donc, sa vision à lui du monde, Janis l’a livrée à travers la lecture qu’il a lui-même faite du passage de La bouche qui mange ne parle pas pour lancer La bouche qui mange ne parle pasl’échange avec les jeunes élèves. Dans ce livre, il est question des crimes rituels liés à des pratiques fétichistes. « Au Gabon, avant chaque élection, l’on retrouve des enfants âgés entre 2 et 12 ans, filles ou garçons, mutilés de leurs organes génitaux, jetés comme des carcasses de bêtes sur les plages de Libreville. Et, les politiciens ou les animistes font des fétiches avec ces organes extraits, soit pour gagner des élections législatives ou présidentielle, soit pour se maintenir à un poste dans un gouvernement ou dans une direction générale d’une société. Ce sont des pratiques barbares qui n’honorent pas l’Afrique, il faut le dire, parce que l’obscurantisme est encore présent », a-t-il dit au Courrier de Kinshasa.

Le spécialiste du polar a lu une partie de ce roman, nous a-t-il confié, « juste pour le besoin de rendre compte de la situation vécue au Gabon ». Et il a expressément choisi, explique-t-il, « le passage qui décrit des personnages qui préparent un braquage, des jeunes qui ne travaillent pas et fument du chanvre tout en ayant des rêves de grandeur. Ils sont fascinés par tout ce qu’ils voient à la télévision comme Trace TV. Ces rappeurs américains qui dansent le cou garni de chaînes, roulent en Mercedes avec de jolies nanas au bras. Tout cela fait parfois rêver une jeunesse dépravée qui parfois se laisse aller à certaines déviances ».

Janis soutient l’avoir fait évidemment à dessein, parce qu’ayant grandi dans un bidonville, il aime peindre la société sans fausse feinte. « Moi, je ne parle pas de la carte postale et donc les quartiers comme Gombe ne m’intéressent pas en tant que tels. Moi, ce sont plutôt ceux comme Matonge, Matete, etc., parce que c’est de la vie de ces quartiers que je tiens à parler. C’est vrai, l’on dit que mes livres sont d’une noirceur ! Mais il n’y a pas de blanc sans le noir. Pour tout résumer, j’aime le monde interlope », a-t-il affirmé. Le romancier gabonais s’est bien gardé de faire la lecture des extraits sur les crimes rituels.

Par ailleurs, Janis se défend de la violence que peuvent exprimer ses écrits, affirmant : « Le fait de montrer la noirceur, c’est une façon de dire aux gens de ne pas devenir comme ces gens que je décris dans mes livres. Mais, il ne faut pas être naïf non plus ! Le monde est violent, tout n’est pas rose dans la vie. S’il faut le cacher aux jeunes, c’est dommage ». Et d’ajouter : « Moi, j’essaie d’aborder ces questions dans mes livres car je fais de la littérature urbaine. Je n’ai pas grandi au village, donc je n’écrirais certainement jamais un livre qui rendrait compte de la vie dans un cadre du village ou un coin reculé de Libreville. J’aime la ville, parce que c’est le lieu de la réussite et du rêve mais c’est aussi le lieu de la tragédie, du drame, de la rupture avec soi-même et les autres. Il n’y a pas que de la noirceur dans mes livres. Prises au premier degré, ses histoires seront comprises de la sorte, mais au second degré, il y a de l’espoir qui se profile ».   

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Janis Otsiemi lors d’un échange avec des élèves à la 5e Fête du livre Photo 2 : La bouche qui mange ne parle pas

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