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Financement de la protection des forêts tropicales du Sud: la fin des crédits fantômes?

Samedi 4 Mars 2023 - 12:15

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Le premier sommet sur la protection des forêts tropicales, tenu du 1er au 2 mars 2023 à Libreville, cherchait des solutions concrètes pour conjuguer la gestion durable de ces forêts et le développement économique des pays forestiers du Sud. Il a proposé une gestion responsable des écosystèmes forestiers, à travers la promotion des filières plus durables des produits de l'agroforesterie et des financements efficients pour réguler le réchauffement climatique de la Terre. Mais, le financement du besoin de 203 milliards de dollars par an d’ici à 2050 des forêts tropicales ne se concrétise pas. En cause, les crédits fantômes octroyés aux pays forestiers.

De l’importance des forêts tropicales : La forêt couvre 4,06 milliards hectares de la planète, dont 1,8 milliard hectares de forêts tropicales (5% de la planète) qui absorbe 443,6 Gt équivalent CO2. Plus de 350 millions de personnes dépendent directement de ces forêts qui abritent entre 50 et 80% d’animaux et de plantes du monde. La forêt tropicale d’Afrique centrale couvre plus de 220 millions d’hectares et compte 206 réserves qui séquestrent 610 millions de tonnes de CO2 par an, soit 4 % des émissions mondiales, plus que celles d’Asie (490 millions) et d’Amazonie (110 millions). La COP15 avait envisagé de protéger 30 % des aires marines et terrestres d'ici à 2030 pour sauver de l'extinction les espèces animales et végétales et permettre la restauration des écosystèmes pour qu’ils continuent de réguler le climat.

Aux crédits dérisoires et fantomatiques : La création du Partenariat de conservation positive, plan de développement assorti d’un fonds de 100 millions d’euros additionnels, destiné aux États protecteurs des forêts tropicales dont 50% apportés par la France, 30% par Conservation international et 20% par la Fondation Walton. Il fait écho au Fonds vert pour le climat de 100 milliards de dollars (COP16), destiné à aider les pays en développement à réduire leurs émissions de GES qui demeurent au niveau des intentions des donateurs. Entre 2008 et 2017, le bassin du Congo n’a reçu que 11 % des flux financiers internationaux destinés à la protection et à la gestion durable des forêts tropicales, contre 55 % pour l’Asie et 34 % pour l’Amazonie.  Sur les 19,2 milliards de dollars de financements prévus par la COP 26, le bassin du Congo ne bénéficie que de 150 millions de dollars.

C’est pourquoi, l’Institut international pour l'environnement et le développement (2022) propose un financement fondé sur la préservation de la biodiversité pour tenir compte des limites du marché des crédits carbones. Ce dernier permet à un État d'émettre ses propres crédits de carbone pour les vendre aux pollueurs qui cherchent à compenser une partie de leurs émissions de CO2. Plus de dix-sept marchés de carbone existent avec un prix fixé entre 1,90 et 20 euros/tonne de CO2. Ils sont fragmentés avec de nombreux standards, à tel point que Guardian et Die Zeit (2023) estiment que la quasi-totalité des crédits carbone liés à des projets de reforestation certifiés n'a pas d'impact positif réel sur le climat. D’où leur dérivation vers les « marchés volontaires » dont le prix se déprécie constamment, malgré leur croissance annuelle moyenne de 30% entre 2016 et 2021. La demande de crédits carbone africains a augmenté de 36% en moyenne annuelle durant la même période. Un prix de 30 à 50 dollars la tonne de CO2 aurait permis aux États forestiers du Sud de gagner au moins 30 milliards de dollars par an.

Vers des progrès centrés sur les « certificats de biodiversité » qui attestent les politiques exemplaires des États qui protègent leurs stocks vitaux de carbone et de biodiversité dont il est difficile d'évaluer les quantités exactes de carbone. Ce mécanisme semble plus crédible que celui des crédits de compensations dont « plus de 90 % des crédits de compensation pour la forêt tropicale sont susceptibles d'être des crédits fantômes qui ne représentent pas de véritables réductions de carbone» (Verra (2022)). L’Afrique dispose d’un stock de crédits de carbone de 2400 mégatonnes équivalent CO2 par an d’ici à 2030 pour environ 6 milliards de dollars. Elle n’a monétisé que 22 mégatonnes d'équivalent CO2 en 2021 pour 123 millions de dollars seulement (Sustainable Energy for All (SE4All, 2022)). C’est pourquoi, le Fonds pour l'environnement mondial souhaite promouvoir des crédits « premium » qui prendraient en compte les questions de biodiversité et les questions sociales des États vertueux.

Ainsi, le financement de la protection des forêts tropicales du Sud est un enjeu majeur pour la maîtrise du réchauffement climatique de la planète. Il exige des mécanismes efficients, liant partenariat public et privé pour un développement inclusif et responsable des États.

E. Okamba, maître de conférences HDR en sciences de gestion

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