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Guerre Iran-Israël : une fissure dans l’ordre géostratégique mondial

Jeudi 17 Juillet 2025 - 9:45

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Le conflit ouvert entre l’Iran et Israël qui n’aura duré que douze jours n’a pas seulement déclenché un embrasement régional : il a redéfini les équilibres géostratégiques au Moyen-Orient et au-delà. Ce que beaucoup pensaient impensable s’est produit. L’illusion d’un état israélien invincible, bardé de technologies et intouchable sur son territoire, a volé en éclats.

Ce mythe forgé au fil des décennies à coups d’opérations ciblées, de supériorité technologique et d’alliances stratégiques avec des grandes puissances occidentales s’est effondré sous les coups d’une guerre asymétrique et prolongée. 

Quels sont les enseignements à tirer de cette épreuve.

L’enseignement le plus profond de ce conflit n’est pas seulement militaire. Il est aussi politique, il révèle que la puissance de feu ne suffit plus à garantir la sécurité des états ni la sérénité de leurs décideurs.

Les drones, les cyber-attaques, les fronts internes, les soulèvement régionaux et la mobilisations idéologiques des masses ont montré que la guerre moderne est fluide, multiforme et parfois insaisissable.

La stratégie de dissuasion classique est désormais dépassée. L’Iran, en menant une guerre hybride – à la fois directe et déléguée – a sapé les fondations même de la domination israélienne dans la région.  Israël reste une puissance militaire redoutable, mais désormais vulnérable sur le plan symbolique et stratégique.

En réalité, cette guerre a mis à nu une réalité plus vaste. Nous sommes entrés dans un monde où la supériorité militaire ne garantit plus la paix, où le monopole de la force ne signifie plus celui de la sécurité. Ce basculement ouvre une ère d’incertitude où les puissances établies devront réapprendre à lire les signes des temps et à comprendre les lignes mourantes de la géopolitique.

Quand la puissance militaire ne garantit plus la sécurité

La leçon la plus inquiétante pour les grandes puissances – pas seulement Israël – est peut-être la suivante : on peut dominer militairement sans être en sécurité politiquement. Le XXIe siècle a démontré que la supériorité militaire ne garantit plus la stabilité, ni la paix ni même la dissuasion. Elle peut même, paradoxalement, devenir une source d’instabilité, en provoquant des alliances de circonstances, en cristallisant les haines ou en générant les conflits de basse intensité permanents.

Ce que vivent aujourd’hui les décideurs occidentaux en général et particulièrement Israéliens, hantés par l’angoisse d’une escalade nucléaire, d’une attaque de grande ampleur ou d’un soulèvement interne, est révélateur d’un désenchantement stratégique plus large. Le sentiment de sécurité, hier assuré par les blindés et les satellites, dépend désormais des variables mouvantes : opinion publique mondiale, pression des diasporas, vulnérabilité numérique, résilience économique, diplomatie régionale. 

Dans ce contexte, la force brute ne suffit plus, elle peut dissuader un ennemi, mais pas empêcher la guerre. Elle peut protéger une frontière mais pas une légitimité. Elle peut infliger des pertes, mais pas offrir une paix durable.

Un monde en basculement

Au fond ce qu’a révélé le conflit israélo-iranien, c’est le basculement du monde vers une nouvelle ère. Un monde post-américain dans lequel la domination occidentale est contestée sur plusieurs fronts. Un monde post-sécuritaire où aucun Etat, même surarmé, ne peut se prétendre à l’abri. Et surtout un monde post-binaire où les lignes ne sont plus simplement tracées entre Etats amis ou ennemis, mais entre coalition mourante, intérêts croisés et logiques de puissance décentralisées.

Cette guerre marque aussi la fin d’un cycle : celui des accords d’Abraham, des illusions de normalisation à tout prix, de la diplomatie de contournement. Les peuples de la région, tout comme ceux d’ailleurs, n’acceptent plus la paix sans justice ni la stabilité sans dignité.

L’Iran en mobilisant des affects politiques, religieux et militaires a touché à quelque chose de plus profond que la stratégie militaire : il s’adresse à une colère souterraine, à une mémoire blessée.

Une alerte pour les puissances établies

Ce conflit doit servir d’alerte à toutes les puissances établies, en particulier en Occident. Il rappelle que la domination technologique ou économique ne suffit plus à garantir l’ordre. Il souligne l’urgence d’une diplomatie renouvelée, d’un dialogue courageux, et d’une prise en compte des aspirations populaires. Il rappelle surtout que dans un monde fragmenté, fluide, où l’information circule plus vite que les tanks, la victoire ne se mesure plus seulement en nombre de frappes réussies, mais en capacité à construire un avenir commun. 

Emmanuel Mbengue

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Édition Quotidienne (DB)

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