Interview. Alesh : « J’ai frôlé des arrestations à plusieurs reprises »

Mardi 6 Juillet 2021 - 17:38

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"Na ndenge ya mabe te" continue de voler la vedette à "Bunda", le second titre de son album "Mongongo" dont le clip a été publié sur YouTube à la sortie de celui-ci, le 21 mai. Les mélomanes semblent plus apprécier le chanteur au franc-parler, comme l’indique le succès du premier titre. Le Courrier de Kinshasa s'est entretenu avec lui pour savoir à quel prix il maintient le cap dans la récrimination, surtout qu’avec "Na ndenge ya mabe te" plusieurs ont pensé qu’il a poussé le bouchon trop loin, sans doute parce que jouissant « d'appuis de taille » en coulisse, quoique ce soit l’unique titre du genre dans "Mongongo".

Alesh (DR)

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Est-il vrai que l’assurance de gros soutiens derrière vous vous ont permis d’y aller à fond dans "Na ndenge ya mabe te", au point de craindre des représailles ?

Alesh (Alesh)  : Non ! Je n’ai personne derrière moi. Je suis conscient qu’en écrivant des textes tels que je les écris, cela me fait courir un gros risque. En 2014, j’ai frôlé l’exil lors d’une tournée dans l’est de la République réalisée à la suite d’une précédente en Angleterre ! À plusieurs reprises, j’ai frôlé des arrestations. 

L.C.K. : Pourriez-vous nous en dire plus sur le contexte dans lequel vous avez frôlé l’exil en 2014  ?

Alesh : Je jouais à l’esplanade de la poste à Kisangani, c’était le dernier concert de la tournée. Je chantais une chanson très profonde que j’aime beaucoup mais que je n’ai jamais sortie mais qui le sera un jour… Elle s’intitule "Faîtes un tour". Elle est écrite principalement en français et en lingala, le deuxième couplet et la fin sont en lingala. Je l’avais écrite au début des années 2010 à la suite d'une discussion avec une amie alors directrice de l’Institut français, Françoise Gardies. Elle me parlait des artistes engagés, principalement de Lexxus et de moi. « Tu ne trouves pas que vous êtes tout le temps dans les attaques et la dénonciation, dans tout ce qu’il y a d’offensif en pointant du doigt, n’en faîtes-vous pas un peu trop… », me disait-elle. C’est de là qu’est née la chanson Faites un tour car je lui ai répondu : « C’est bien de penser cela de nous et si vous croyez que ce que nous disons est faux, alors faites un tour où nous habitons ! ».

Je me rappelle des premiers vers de la chanson : « Certains diront que j’exagère quand je parle de ma terre/ Et ceux qui se trouvent au sommet voudront sûrement me faire taire / Je me tue depuis dix ans à nager à contre-courant dans une mer de sable mouvant, c’est épuisant ! / Mais est-ce que larmes et sang, c’est tout ce que ma terre mérite ? Suis-je assez droit pour que l’injustice m’irrite ? » C’est vraiment un texte très personnel, très profond une vraie remise en question que je fais en tant qu’artiste engagé. Et, à la fin de la chanson, je cite les noms de quelques personnes ou personnalités qui ont perdu leur vie pour ce pays, il y en avait certains qui dérangeaient. En parlant aux jeunes à la fin de la chanson, je leur ai dit : « Yango na sengi pardon, totia mayele, mopaya akoya kobundela mboka n’o te, tia mayele !pas ». Le refrain « Tia mayele ! » revenait en boucle à la fin. «Na tango bolembu ekoti : Tia mayele ! », « Kanisa makila ya Lumumba : Tia mayele ! », puis j’ajoute « Kanisa makila ya Floribert Chebeya : Tia mayele ! », j’évoque aussi d’autres noms tel que Budja Mabe. Citer ce nom, tout comme celui de Chebeya ne plaisait pas à tout le monde de sorte que des militaires et des agents de sécurité sont intervenus. Je chantais la septième chanson du répertoire de la soirée,

J’en avais prévu quatorze mais j’ai dû quitter la scène sur le champ en courant. L’une des personnes qui peuvent confirmer ce témoignage, c’est Jamaïque, il est aujourd’hui animateur chez Werrason dans Wenge Maison Mère. À l’époque, il travaillait dans mon équipe. C’est lui qui était resté sur la scène pour faire diversion pendant que je prenais la fuite, sauvé par les jeunes des quartiers populaires de Kisangani, notamment ceux de la commune de Mangobo. Donc, quand on prend ce genre de risques, ce n’est pas pour le buzz. Surtout le fait de faire ce genre de choses avec une telle constance le long de toutes ces années. J’avoue que je ne suis pas bête ! Je sais mesurer les risques que je prends. J’estime qu’aujourd’hui, tout ce que je fais, ce n’est pas moins qu’une vocation autant que la prêtrise. Je crois que je suis appelé à cela, je réponds à un appel.Alesh dans un extrait de Na ndenge ya mabe te (DR)

 Alesh présentant l’album Mongongo à sa sortie (Adiac)L.C.K. : A la fin, qu’est-ce donc qu’être un artiste engagé, comment le vit-on  ?

Alesh : Je n’aime plus trop être qualifié d’artiste engagé (rires). 

L.C.K. : Mental engagé alors ?

Alesh : Oui, mental engagé. Ça c’est vraiment un état d’esprit ! Mais je crois aussi qu’il y a une bonne dose d’engagement dans la plupart des carrières sauf que plusieurs ne se sont pas encore retrouvés ou n’ont pas encore identifié dans quoi ils sont engagés car l’engagement naît d’une sensibilité. Il naît d’un intérêt particulier pour une cause commune. Il y en a qui se sentent très concernés face aux questions des libertés, d’autres sont pour la préservation de l’environnement, ce sont là des formes d’engagement. Je crois même que le gospel est une forme d’engagement : on croit en quelqu’un et en quelque chose, on voudrait attirer l’attention sur cela mais surtout, sur les dangers qui rôdent autour de ce qui fait notre intérêt : « Mes frères et sœurs, arrêtez de pécher sinon vous irez en enfer. Préserve-toi, il faut y veiller, sinon tu ne seras pas sauvé ». C’est tout ce que nous faisons. Lorsque je chante : «  Mokonzi o’a motema mabe… ! Nini’ango esilaka te ? Ambiance ya butu ti tongosa : nini’ango esilaka te ? Ata kutu Mobutu akufa … ». Ce, pour dire que nous tirons l’attention sur le fait que cette République n’est pas un royaume, ce n’est pas une monarchie.

Tout passe, tout pouvoir est appelé à passer ! Si ce n’est pas par les mains des hommes, ce sera par les mains de la nature parce que l’on finit toujours par mourir. Quand on meurt, il finit par passer. Le pouvoir use, il finit par passer. C’est important de savoir faire son temps, reconnaître que l’on a fait ce que l’on pouvait et que quelqu’un fera peut-être mieux que moi. Il est important, lorsqu’on a le pouvoir entre ses mains, de penser à ceux qui ne l’ont pas, comment ils vivent. Penser à ceux qui n’ont pas de jeep de police avec sirènes et gyrophares qui leur ouvrent la voie, leur permettent d’aller en contresens lors d’un embouteillage. Il ne faut pas l’oublier : d’où tu es venu, là tu retourneras, quand le pouvoir va passer, tu vas retourner à la vie ordinaire. Si donc tu traites bien les gens pendant que tu as le pouvoir, tu as beaucoup plus de chance que l’on te traite bien quand tu ne l’auras plus.   

Propos recueillis par

 

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Alesh (DR) Photo 2 : Alesh dans un extrait de "Na ndenge ya mabe te" (DR) Photo 3 : Alesh présentant l’album" Mongongo" à sa sortie (Adiac)

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