Interview. Éric Impion : « Près de 45% des esclaves déportés d’Afrique venaient de la région du Kongo ! »

Mardi 18 Mai 2021 - 16:55

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Confronté à la réalité de la traite négrière lors de ses interventions à la Radio FM Espoir en Martinique, le pasteur et entrepreneur congolais s’est senti obligé de revenir aux sources de l’histoire, son Congo natal, pour répondre à la quête de ses interlocuteurs et sensibiliser les siens à l'incidence de ce passé sur le vécu actuel. Cet intretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa  à la conférence « Repenser, reconsidérer le patrimoine historique et mémoriel de la traite négrière en Afrique centrale », organisé au ministère des Affaires étrangères à Kinshasa, les 21 et 22 mai, à la suite des questions de plusieurs Afro-descendants, notamment les « Afro-Américains vivant aux États-Unis ou en Amérique latine seraient majoritairement venus du Kongo (Les deux Congo et l’Angola) ».  

Éric Impion (DR)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs  ?

Éric Impion (E.I.)  : Je suis Éric Impion, entrepreneur. J’ai une entreprise installée à Cleveland, dans l’Ohio, dénommée Alch Management LLC. LLC, c’est l’équivalent de SPRL ici. Nous offrons un certain nombre de services, notamment de management pour entrepreneurs ou de coaching pour ceux qui veulent se lancer mais ne savent pas trop par où commencer : comment avoir les papiers de l’entreprise et s’organiser. Nous offrons également des services de traduction d’ouvrages et de coaching d’écriture. Plusieurs personnes ont des histoires merveilleuses à raconter sans savoir comment le faire, ne sachant pas par où commencer. Ces services sont offerts aussi bien en français qu’en anglais.  

L.C.K. : Quoique vous soyez bien établi aux États-Unis, il semble que vous êtes de ceux qui gardent leur âme attachée à leur patrie d’origine…  

E.I. : Oui ! C’est la raison pour laquelle j’ai d’ailleurs mis en place une fondation qui porte mon nom en dehors de mon entreprise. Eric Impion Foundation est une ASBL de droit américain et congolais. Installés aux États-Unis, nous disposons de tous les documents et jouissons de l’exonération fiscale de sorte que nous pouvons recevoir des dons sans problème là-bas et ici. L’idée, c’est que nous essayons, mon épouse et moi, de rétrocéder une partie du peu que nous gagnons à la société, ce ne sont pas des millions. Cela permet de faire certaines choses là-bas mais aussi, nous coachons les gens des fois à des prix cassés. Ce qui constitue une manière de les aider. Ici, selon le besoin ressenti, nous essayons de faire quelque chose. Il y a moins d’un mois, nous avions ramené des États-Unis des équipements de mobilité : chaises roulantes, béquilles, déambulateurs, toilettes portables et plein d’autres fournitures pour vieillards et personnes à mobilité réduite. Cela a été offert à huit centres hospitaliers de l’Église du Christ au Congo, communément appelée Église protestante. Mais cela n’est qu’une partie de ce que fait la fondation. Normalement, elle fonctionne sur trois axes : le premier, c’est la promotion de l’éducation. Nous savons qu’en Afrique, elle est difficile à assurer et dans certains cas, elle n’existe pratiquement pas car il est à un niveau médiocre. En second lieu, c’est la promotion de la culture, convaincus que l’Afrique est une terre de culture, tout a commencé ici, et que le Congo est une terre riche de culture. Tout le monde vient y apprendre pour devenir par la suite grand ailleurs. Dès lors, pourquoi ne pas promouvoir cette culture nous-mêmes ? Et le troisième axe vise le développement communautaire parce qu’aujourd’hui, il y a un fort exode rural : les gens quittent les villages et viennent dans les villes en masse, en définitive, les villes cessent d’être des milieux ruraux et passent pour des espaces de vie ruraux-urbains. L’on vit dans une grande ville qui ressemble plutôt à un village. Dès lors, l’idée c’est de créer un développement meilleur, pas aux allures de New York ou Washington, mais qui soit adapté à nos milieux mais à l’intérieur du pays de sorte que les gens restent vivre heureux dans leur espace sans être enclins à se déplacer.   

L.C.K. : De quelle manière partagez-vous la culture congolaise aux États-Unis dès lors que vous avez choisi d’en être l’un des ambassadeurs  ?

E.I. : Un constat : quoiqu'ils y vivent, la plupart des Congolais connaissent très peu leur propre pays. C’est surprenant, c’est en dehors du Congo que j’ai appris beaucoup plus sur lui que lorsque j’y vivais encore. Et le paradoxe : partout où je suis passé, les gens vous parlent d’eux-mêmes, et alors là, j’ai découvert des littératures, plusieurs sortes de livres, des documentaires, des personnes ressources que nous n’avons pas chez nous ! D’une part, parler du Congo, c’est parler de tout ce que j’en sais : littérature, musique, etc., et de toute sa beauté. Une fois j’ai dit à des gens que ce pays compte plus de quatre cents tribus et près de quatre cents dialectes assis sur quatre langues nationales et une langue officielle, ils n’en revenaient juste pas. Surpris, ils me demandaient : « Comment arrivez-vous à vivre ensemble avec autant de diversité ? ». C’est dire que pour partager la culture congolaise, il ne faut pas être savant : le peu que nous sommes, en savons déjà, nous devons le partager. Le fait que notamment nous ayons de l’eau douce en abondance ou tout en étant tous Congolais, nous ayons des cultures familiales et traditionnelles différentes, le matriarcat pour les uns et le patriarcat pour les autres, ce sont des choses simples que nous pouvons déjà partager avec les autres et leur faire découvrir le Congo. La littérature est un autre moyen car j’écris et fais du coaching en écriture.  

L.C.K. : Quelle part a l’histoire du Congo dans votre démarche à le faire découvrir ? Affiche de la Conférence sur le tourisme mémoriel en RDC (DR)

E.I. : En quittant le Congo, j’en savais très peu sur certains sujets comme la traite négrière dont la connaissance se résumait au peu enseigné dans nos écoles ici. Quelques bribes sur les Royaumes Kongo, Kuba, etc. Mais à l’extérieur du pays, déjà dans l’université que j’ai fréquentée, j’avais un cours d’anthropologie qui m’a fait rendre compte qu’autant j’en apprenais sur d’autres cultures, il y avait aussi toute une histoire chez nous. Des fois, l’histoire du Congo est à peine frôlée et le sujet de la traite négrière est évoqué sans que l’on ne fasse mention de nous. À Cleveland, il y a eu une activité culturelle d’une semaine où professeurs d’universités et experts de tous bords étaient réunis pour parler de la traite négrière. C’était étonnant de voir que le Congo n’était pas représenté à ces assises ! Je travaille avec une radio chrétienne qui m’a impressionné en Martinique, la Radio FM Espoir. Elle est différente des nôtres car au-delà de la religion, ils parlent d’eux, leur vie, leur société, de sorte que, quel que soit le débat, ils reviennent à la question de la traite négrière parce qu’ils sont arrivés en Martinique comme esclaves. Au fil du temps, j’ai commencé à recevoir des questions. J’ai fait face à une demande du genre : « Moi, je suis du Congo, mon ancêtre est venu de ce pays, ne puis-je pas aller le visiter ? ». Je n’avais pas de réponse à cela tout en pensant qu’il n’était pas bon de continuer ainsi à laisser le pays souffrir d’un manque d’éclat à l’extérieur. Il était impérieux de faire quelque chose ! La question a été creusée là-bas, nous avons réfléchi ici aussi avec des personnes ressources pour s’y travailler.    

L.C.K. : Qu’avez-vous résolu de faire de manière concrète  ?

E.I. : Nous avons résolu de faire deux choses : il y a des Afro-Américains qui veulent venir en Afrique, il y a un vent qui conduit des afro-descendants vers le Ghana ou encore le Bénin. Chez nous, par contre, les gens ne viennent pas. Pourtant, en regardant de près l’histoire, l’on se rend compte que près de 45% des esclaves déportés d’Afrique venaient de la région du Kongo ! Comment expliquer le fait, qu’en dépit des 45% partis de chez nous, lorsqu’il faut parler de la traite négrière aujourd’hui dans le cadre juste de notre culture ou histoire à valoriser, sans forcément revenir sur ses travers ou condamner qui que ce soit, que le Congolais soit absent ? C’est anormal, alors que nous en avons souffert le plus, que ce soit les autres qui en tirent les bénéfices ! Selon la logique, les Afro-Américains vivant aux États-Unis ou en Amérique latine, seraient majoritairement venus du Kongo ! Que faisons-nous alors de cette réalité ? Tant qu’à faire, nous allons commencer par une conférence de sensibilisation. C’est en revenant au Congo que je me suis rendu compte, plusieurs on fait le même constat : « Les Congolais sont déconnectés de leur propre histoire ». La plupart vous disent : « Nous avons étudié la traite négrière à l’école certes, mais l’on ne sait pas trop en quoi cela nous concerne aujourd’hui ». C’est étonnant d’entendre cela alors que tout est lié ! Le Congo a connu trois grandes tragédies. La première, c’est la traite négrière qui a emporté plus de 5 millions de personnes, beaucoup sont morts avant d’arriver à destination. La seconde ce sont les millions de morts sous la colonisation belge. Et la troisième, c’est celle que nous vivons encore dans l’Est du pays où l’on évoque plus de 8 millions de morts ! Devons-nous continuer à regarder l’histoire se dérouler, se répéter sous nos yeux les bras croisés ? Ne pensez-vous pas qu’à un moment, il faut s’arrêter y réfléchir, poser le diagnostic qui s’impose ? Pourquoi autrefois c’était nous que l’on embraquait le plus : peut-être étions-nous les plus forts, les plus intelligents et les plus habiles ? Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui tout le monde se ligue contre nous ? Je crois qu’en prenant le temps d’y réfléchir, nous tirerons des conclusions qui nous permettront de mieux aborder le futur. Nous ne pouvons pas être absents dans le débat présent ! Si c’est le cas, c’est dire que dans le futur, nous n’existerons pas !  

L.C.K. : De quoi sera-t-il question à cette conférence de sensibilisation ? 

E.I. : La conférence portera sur la traite négrière dans l’idée de son thème : « Repenser, reconsidérer le patrimoine historique et mémoriel de la traite négrière en Afrique centrale ». Il y a eu aussi la traite négrière à l’Est et à l’Ouest avec la partie du Tanganyika, le Maniema, etc. Pour l’Ouest, le Royaume Kongo occupait trois pays (les deux Congo et l’Angola) qui étaient tous impliqués. Parler de cette question juste en évoquant la RDC n’est pas juste parce que le passé nous lie. La conférence devrait servir, au-delà de l’évocation, emmener à des résolutions. Nous sommes dans une approche pratique pour que nous ne arrêtions d’être absents dans le présent. 

Propos recueillis par

 

 

 

 

 

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Éric Impion (DR) Photo 2 : Affiche de la Conférence sur le tourisme mémoriel en RDC (DR)

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