Interview. François Makanga : « L’AfricaMuseum est le seul endroit où l’on peut physiquement raconter l’histoire de la colonisation»

Jeudi 25 Février 2021 - 16:57

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Le guide a conduit des élèves du Centre scolaire de Ma Campagne et de l’Athénée Royal Louis Delattre à travers le musée de Tervuren au mois de novembre 2019 dans le cadre du projet « La culture a de la classe » proposant la découverte des littératures africaines. Comme il l’affirme dans cet entretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa, les deux visites guidées ont servi à contextualiser les écrits de feu Sony Labou Tansi où il est question du rapport entre l’Europe et l’Afrique.

François Makanga devant des tambours à fente dans la salle « Langues et musiques » (Adiac)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourriez-vous nous dire un mot sur les visites d’élèves que vous avez guidées  ?

François Makanga (F.M.) : Les visites étaient spéciales à plus d’un titre. J’en étais le guide parce que les écoles ont souscrit au projet « La culture a de la classe », subventionné par la communauté française de Bruxelles, que nous lui avions remis avec deux amis comédiens. Par trimestre, nous proposons des coachings de lecture à voix haute dans les écoles dont la technique consiste à lire en respectant les ponctuations et en y mettant de l’intention. Une technique commune aux comédiens, aux avocats, aux orateurs, etc. La proposition est faite dans le cadre de la découverte des littératures africaines. Dans le cas d’espèce, nous avions proposé aux professeurs et à leurs élèves un corpus de textes de l’auteur congolais Sony Labou Tansi réputé pour son intransigeance sur les questions de la colonisation ainsi que le rapport entre l’Europe et l’Afrique. Et, chemin faisant, pour contextualiser ce que les élèves lisent, nous proposons des sorties culturelles dont la visite guidée de l’AfricaMuseum fait partie. Cette visite d’histoire ouvre un champ sur la compréhension du contexte de la colonisation et des luttes telles que décrites dans Encre, sueur, salive et sang où Sony Labou Tansi évoque ce rapport entre les continents africain et européen. Et, comme autre sortie, il y a la Cantate de Bisesero, le spectacle musical au sujet du génocide rwandais. Nous avons voulu créer un débat au travers de dix séances de coaching à l’issue desquelles les élèves vont présenter leur lecture devant un public, le 7 mars 2020. La visite fait partie d’un projet global.

L.C.K. : Être comédien à la base, est-ce un atout lorsqu’on devient guide  ?

F.M. : Oui, c’en est un, je l’ai compris puisqu’effectivement cela reste dans le domaine de la parole, de la transmission de différents niveaux de messages. Cela permet d’observer le public, l’assistance, de faire avec, de s’adapter à chaque groupe. Effectivement, il y a des pratiques dans le métier du guide que l’on retrouve dans celui du comédien, l’on fait une sorte d’adaptation. Je le trouve intéressant et j’aime assez.

L.C.K. : Faire le guide cela vous donne-t-il l’impression d’être sur scène  ?

F.M. : Non, parce que la scène reste le musée. J’ai l’impression de décrire la scène et l’histoire que ce musée joue dans le pays et dans la petite histoire du visiteur. Je suis plutôt un messager, quelqu’un qui transmet plus qu’il ne se met en scène. D’ailleurs il vaut mieux ne pas trop se mettre en scène pour veiller à la susceptibilité du public qui parfois peut contester la légitimité du guide, surtout quand ce dernier est d’origine africaine et qu’il maîtrise l’histoire de l’Europe et celle de l’Afrique. Parfois, il faut pouvoir, dans tous les cas, ménager les susceptibilités quelles qu’elles soient.

L.C.K. : Que dirait ce messager à une personne qui n’a pas encore visité le musée pour l’inciter à le faire ?

F.M. : En tout cas, l’AfricaMuseum est le seul endroit où l’on peut physiquement raconter l’histoire de la colonisation. Dans tous les cas, c’est le seul lieu en Belgique, le seul musée européen de propagande de ce style qui tente de déconstruire son image. Pour le moment, en attendant les prochaines réformes de l’enseignement, il reste un lieu, pour autant que l’on ait envie d’en savoir plus, et que l’on ne vienne pas ici uniquement pour admirer les animaux, où l’on peut en savoir plus sur l’histoire de la Belgique et du Congo.Quelques kanga exposés à l’AfricaMuseum (DR)

L.C.K. : Avez-vous déjà eu des contacts avec l’institut des musées au Congo  ?

F.M. : C’est marrant, l’an dernier nous avions eu la visite des représentants du musée qui a ouvert à Kinshasa. Ils cherchaient les moyens de former des guides sur place au Congo. Nous avons évoqué quelques trucs et astuces mais surtout les avons emmenés à se rendre compte qu’au plus les guides ont un cursus différent, proviennent d’horizons différents, plus cela enrichit leur guidance.    

L.C.K. : Quel est votre espace favori dans le Musée de Tervuren  ?

F.M. : J’aime beaucoup la partie « Langues et musiques ». L’on y voit tout le sens des langues, la philosophie, les traditions et voire même comment la musique s’est propagée dans le temps, surtout de quelle manière elle a quitté le continent africain. C’est quelque part l’une des salles qui se rapproche le plus des gens. N’importe quelle personne qui franchit cette salle vit une connivence parce qu’elle concerne directement la musique contemporaine. Elle laisse insensible peu de personnes. C’est là que l’on voit le lien entre le reggae, le jazz, le rap et les langues bantoues, les langues africaines. Les couvercles à proverbes, les kanga, ces pagnes ornés de proverbes instructifs, et bien d’autres choses qui sont de la culture immémoriale et qui, malgré la domination, ont perduré dans le temps au point de se retrouver dans ce que l’on écoute aujourd’hui. C’est l’une des salles intéressantes déjà tournée vers l’équité culturelle et l’inaltérabilité de l’Afrique, ce qui a toujours persisté.   

L.C.K. : Un mot pour nos jeunes lecteurs, comment devraient-ils considérer un guide  ?

F.M. : Peut-être qu’à Kinshasa, derrière le terme guide il n’y a pas grand-chose : il n’a pas la considération que l’on devrait lui donner, l’on pense que même un berger peut l’être, ce n’est pas si important, ce n’est pas statutaire. Mais en Belgique, au niveau des lois légales, nous sommes à un régime de tarification qui correspond à conférencier. D’ailleurs lorsqu’on fait référence à nous, on dit guide et conférencier, normalement. Un guide est donc censé maîtriser un certain sujet et le présenter devant un public. Il dispense son savoir dans un lieu, dans un temps imparti. Et donc, j’espère que le fait de savoir qu’être guide c’est être conférencier peut susciter des vocations parmi les jeunes à Kinshasa.

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : François Makanga devant des tambours à fente dans la salle « Langues et musiques » (Adiac) Photo 2 : Quelques kanga, pagnes ornés de proverbes, exposés à l’AfricaMuseum (DR)

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