Interview. Théodore Ngoy : « Le créole et le vaudou sont nés à Mvula »

Vendredi 10 Septembre 2021 - 13:59

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En sa qualité de président du comité scientifique du projet international de l’Unesco « La route de l’esclave » en République démocratique du Congo (RDC), le docteur en droit et pasteur Théodore Ngoy était un des acteurs de la célébration, le 29 août à Nsiamfumu sur la plage Kumbi, de la Journée internationale des souvenirs de la traite négrière et de son abolition. Dans cet entretien accordé sur place au Courrier de Kinshasa, il révèle notamment l’importance du cadre dans l’histoire de cette tragédie dont le pays recèle de nombreux vestiges, y compris l’origine de la langue et la religion susmentionnées.

Théodore Ngoy et Jean-Pierre Ilboudo, le Représentant pays de l’Unesco lors de la célébration de Nsiamfumu (Adiac)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Peut-on savoir en quoi consiste la célébration du 23 août  ?

Théodore Ngoy (T.N.)  : La Journée internationale des souvenirs de la traite négrière et de son abolition est célébrée le 23 août de chaque année depuis la conception du projet en 1993 et son lancement en 1994 à Ouidah, au Bénin, à la demande d’Haïti et des pays africains. Le rôle de cette journée est de briser le silence à propos de la traite négrière. Le projet « La route de l’esclave » lui-même a plusieurs objectifs; le premier consiste à briser le silence en identifiant les sites de la traite négrière dans l’ensemble du pays. Chez nous, nous n’avons pas seulement subi la traite négrière qui a plusieurs sites. Nous avions d’abord connu la traite orientale ou septentrionale ou encore transsaharienne, elle est dite aussi arabe, ensuite ce fut la traite négrière, puis la traite post-missionnaire belge. Nous avons donc plusieurs sites de mémoire autrement plus importants que l’île de Gorée, par exemple.

Deuxièmement, il faut une banque de données sur l’histoire qui doit être constituée par les historiens que nous rassemblons en tant que comité scientifique et nous devons rédiger un programme à introduire dans l’enseignement primaire et secondaire ainsi que dans le supérieur et universitaire. Un enseignement correct de notre histoire.

Troisièmement, nous devons créer un musée consacré spécifiquement à la traite négrière avec une maison de souvenirs qui sera le point de repère du tourisme de mémoire. Puis, il faudra ériger des monuments commémoratifs de la traite négrière à vocation touristique. Ce qu’il faudrait en tout état de cause, c’est entretenir la mémoire en brisant le silence chaque fois par des conférences. Nous en avons organisé plusieurs dans des universités et nous continuerons à le faire. Et surtout, j’annonce que cette année, nous tiendrons le symposium international sur la traite négrière et son abolition parce que 60% des esclaves retrouvés partout dans le monde, notamment au Brésil, à Cuba, au Portugal, en Angleterre, en France, aux Etats-Unis, en Amérique en général, sont venus du Congo. Et 64% de ceux qui ont mené la rébellion sont venus du Congo, ici chez nous, et en particulier, du royaume Kongo. C’est pour cela que nous sommes venus valoriser le site de Nsiamfumu qui est à la fois un site de cantonnement et d’embarquement des esclaves mais surtout un marché des esclaves. C’est à Mvula, dans la forêt que l’on trouve le puits, un énorme trou dans lequel étaient gardés les esclaves enchaînés pour les empêcher de s’enfuir. Et, sur la place, il n’y avait pas que les esclaves issus du Royaume Kongo étendu à l’Angola et au Congo-Brazzaville, ou du Congo, en général, mais aussi ceux qui venaient du Sénégal, du Cameroun et du Gabon. Tous ces esclaves avaient décidé de résister en créant un code commun, c’est l’origine du créole. Ce parler, le créole, est né à Mvula. Comme ils l’avaient fait au niveau linguistique, sur le plan spirituel, ils ont pensé : « Nous avons des pouvoirs qui nous protègent et chacun a sa puissance ». Ils se sont communiqués et ont trouvé un code commun qui est l’origine du vaudou.

L.C.K. : Vous l’avez dit, la RDC compte plusieurs sites ayant trait à la traite négrière et autres traites qu’elle a subis le long de son histoire. Pourquoi ne pense-t-on qu'à revaloriser Théodore Ngoy expliquant aux ministres l’emplacement du cantonnement (Adiac)Nsiamfumu  ?

T.N. : Il faut commencer quelque part tout simplement. Par ailleurs, le comité scientifique de RDC est une organisation d’experts créée à la demande de l’Unesco qui a pour tâche de faire des réflexions, de produire des écrits après des recherches et même de rassembler des sources orales pour en faire des publications. Il faut aussi que les autorités politiques fassent leur part. À cet effet, il doit y avoir un budget affecté à l’érection des monuments, aux travaux d’identification, de réfection, de production de documents, de réalisations de conférences, etc. Nous avons commencé à Nsiamfumu après avoir constaté une implication remarquable de l’autorité politique cette année. Pour la cérémonie de ce 29 août, le Premier ministre s’est fait représenter par le vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur. Il est accompagné des ministres de l’ESU et de la Culture, respectivement premier vice-président et second vice-président de la commission nationale de l’Unesco et le ministre du Tourisme qui en est membre. Vu l’implication politique pour cette fois, nous espérons que l’on fera désormais de même les 23 août à venir pour les autres sites. En outre, il faut signaler qu’au niveau de l’Unesco, il existe un comité scientifique international et des comités scientifiques nationaux du projet « La route de l'Esclave ».

L.C.K. : Pour le cas spécifique de Nsiamfumu, que prévoit-on de réaliser dans la perspective d’y encourager le tourisme mémoriel  ?

T.N. : Il faut en premier valoriser le site. Des travaux d’identification des vestiges ont été effectués, puis la première pierre posée ce 29 août l’a été en vue de l’érection des monuments commémoratifs de la traite négrière. L’étape suivante concerne des travaux que doivent entreprendre les différents ministères concernés, y compris la présidence de la République qui préside l’Union européenne sous la thématique Arts, culture et patrimoine.

Une vue de la plage de Kumbi où était organisé le marché des esclaves (Adiac)L.C.K. : Quels vestiges seront mis en valeur en premier sur le site de Nsiamfumu  ?

T.N. : Il y a le marché des esclaves, le cantonnement, lieu où les esclaves étaient entreposés comme le sont les marchandises dans les dépôts de magasins. Si l’on prenait les précautions pour les garder vivants, c’était pour pouvoir les vendre mais plusieurs ont été tués, les moins vigoureux qui semblaient faibles ou étaient malades. Les nouveaux-nés, tous ceux qui naissaient-là étaient tués sur place, ils étaient écrasés ou jetés par-dessus bord lors de la traversée de l’océan. Sur le lieu de cantonnement il y a la forêt, des manguiers, ce fut un lieu de souffrance où ont été vécues des tragédies. Mais à côté, il y a les marchés où certains étaient déjà vendus à l’instar de la plage Kumbi qui a servi de cadre à la célébration en marge de la journée du 23 août. Et, à 200m de la plage Kumbi, est situé le lieu d’embarquement des esclaves. Nous avons tous ces éléments qui font de Nsiamfumu un lieu plus important que l’île de Gorée, par exemple.Un chaudron et une chaîne, vestiges de la traite négrière conservés à Muanda Village (Adiac)

L.C.K. : Quels sont les vestiges visibles qui rappellent déjà à l’heure actuelle, avant le début des travaux, cette histoire de la Traite  ?

T.N. : Il existe le trou où étaient gardés les esclaves. Le puits d’eau et un peu plus loin, à Muanda Village, des marmites et des chaînes qui ont servi à l’ancrage des navires négriers qui constituent les vestiges de cette tragédie de l’histoire.

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Théodore Ngoy et Jean-Pierre Ilboudo, le représentant pays de l’Unesco lors de la célébration de Nsiamfumu /Adiac Photo 2 : Théodore Ngoy expliquant aux ministres l’emplacement du cantonnement /Adiac Photo 3 : Une vue de la plage de Kumbi où était organisé le marché des esclaves /Adiac Photo 4 : Un chaudron et une chaîne, vestiges de la traite négrière conservés à Muanda village /Adiac

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