Numéro spécial Francophonie : Dakar 2014 pour un tournant générationnel

Samedi 15 Novembre 2014 - 16:00

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Dans deux semaines, le monde francophone se réunira à Dakar pour le XVe sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie. Ce rendez-vous bisannuel des différentes instances de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) permet de se rencontrer pour faire le point sur le poids, la place et l’influence de la langue française, et explorer de nouvelles pistes dans la marche de l’organisation

Hamidou AnneCette année, le sommet aura une double spécificité. D’abord au plan symbolique avec le retour au pays de Léopold Sédar Senghor qui est le père de la Francophonie politique. Ensuite, la fin du mandat d’Abdou Diouf, Secrétaire général depuis dix ans de l’OIF qui clôt un cycle entamé au sommet de Beyrouth. Le monde francophone revient à Dakar avec un questionnement crucial sur le devenir de l’instrument qui fédère ses énergies et ses ambitions, mais aussi dans l’optique de maintenir le français au centre du débat international, malgré l’uniformisation linguistique et culturelle que serait tentée d’imposer la mondialisation.

De son inspiration à la traduction concrète, la Francophonie a traversé la dernière moitié du xxe siècle sous différents aspects. Son « péché » originel, qu’elle traîne toujours d’ailleurs, fut l’illusion de perpétuer une domination coloniale française même après le « non » de Sékou Touré et la vague d’indépendances des années 1960. Malgré ce fardeau congénital qui fait encore le lit de plusieurs critiques parfois objectives, d’autres fois stériles, notamment en Afrique, il est indéniable que depuis 1970 et la naissance de l’ACCT, la Francophonie a à son actif de nombreuses réalisations. Notre langue progresse dans le monde, la culture francophone reste foisonnante et largement consommée, nos valeurs démocratiques et progressistes s’imposent d’abord dans les États membres et même au-delà. La Déclaration de Bamako reste un texte emblématique dans l’architecture juridique internationale en matière de paix, de sécurité et de préservation des droits humains.

L’aventure a été entamée sous le joug d’une Francophonie linguistique, puis culturelle. Depuis 2000, la Francophonie a pris un tournant politique et s’est imposée comme un acteur incontournable aujourd’hui en matière électorale et dans la sphère des relations internationales ponctuée par des rapports de forces et de constants jeux d’intérêts. Il est indispensable que la Francophonie capitalise ses succès et en fasse un levier d’émergence. Dès lors, il faut une réelle prise en compte de la dimension économique de la langue française et de la Francophonie. Et ce volet assez marginal dans le projet des pères fondateurs masque mal une forme de malaise que nous francophones avons toujours développée vis-à-vis de l’économie, du marché.

Or, notre espace qui compte une multitude de pays pauvres, au-delà de la spécificité linguistique et culturelle qui est la sienne, doit également être pleinement une aire de développement et d’échanges économiques. « Femmes et Jeunes en Francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement », thème choisi par le Sénégal pour ce XVe sommet de Dakar, montre que le pays de Senghor se positionne sur un débat majeur et extrêmement temporel. Ce thème est donc intéressant dans le renversement du paradigme actuel, car il permet de développer une perspective nouvelle qui devra être le lieu d’expression de discours futurs et de nouveaux enjeux de l’organisation à travers des acteurs nouveaux.

Mettre l’accent sur les forces montantes que sont les femmes et les jeunes dans l’hypothèse de l’émergence en Afrique et dans le monde francophone est intéressant et doit trouver un écho favorable dans les débats à Dakar. Et dans cet envol économique que la Francophonie doit amorcer à l’issue de ce sommet de Dakar, l’Afrique est appelée forcément à jouer un rôle de premier plan. Les projections les plus sérieuses évoquent un nombre de 700 millions de francophones en 2050, avec une majorité de locuteurs en Afrique.

Le continent est donc dans une poussée démographique soutenue qui doit le placer comme locomotive de l’ambition francophone de ces cinquante prochaines années. À cela s’ajoutent les données macroéconomiques. Selon la Banque mondiale, le PIB de l’Afrique subsaharienne, de 4,6% en 2014 devrait progresser à un rythme annuel moyen de 5,2% sur la période 2015-16 et s’élever à 5,3% en 2017.

Aire géographique jeune dans un monde qui vieillit, l’Afrique a une carte à jouer dans le nouveau schéma des relations internationales qu’est en train d’imposer en ce moment une redéfinition des cartes géopolitiques. Et son discours doit être audible pour constituer un marqueur fort de ce que sera la Francophonie de demain, dont les premiers balbutiements doivent naître de Dakar. La jeunesse africaine est pleine de ressources, même si elle reste comme quasiment partout ailleurs cloîtrée dans la case d’une promesse, mais rarement comme d’une véritable opportunité, d’un réel levier de développement économique et social.

Il faudra donc qu’elle s’approprie la question de l’orientation économique et qu’elle se place en responsabilité pour inaugurer de nouveaux paradigmes de pensée et d’action. Longtemps, elle fut dans l’attentisme, guettant son temps. Dorénavant, à Kinshasa, à Québec, à Beyrouth et dans chaque parcelle de l’espace francophone, elle doit arracher la parole et exprimer franchement une envie de Francophonie à l’aune des réalités de son temps.

À Dakar, non pas à la plénière des chefs d’État et de gouvernement où ne se trouve pas sa place, mais à travers les manifestations d’environnement et les différents lieux de rencontre, la jeunesse africaine devra investir la parole, se mettre en réseau, critiquer les atavismes et décliner son message d’une Francophonie nouvelle, dynamique et à l’écoute de son futur.

Ancien élève de l’ENA à Paris, Hamidou Anne a été chargé de mission au cabinet du Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, avant de travailler au Sénégal comme conseiller aux ministères des Affaires étrangères et de la Culture

Hamidou Anne