Numéro spécial Francophonie : « La Francophonie est une école de la démocratie et un espace de liberté qui doit défendre l’intégrité et la stabilité de chacun de ses membres »

Vendredi 14 Novembre 2014 - 3:45

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Ex-ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui, qui est aussi cinéaste, a fait du droit des femmes son combat au sein de l’espace francophone. Pour elle, la scolarisation des filles jusqu’à seize ans et la formation des femmes sont des droits fondamentaux, car l’école et l’éducation sont les clés qui ouvrent les portes de tous les savoirs et de tous les pouvoirs. Entretien

Les Dépêches de Brazzaville : C’est grâce à votre action que les femmes sont à l’honneur pour ce sommet. En tirez-vous une fierté ?
Yamina Benguigui : Dès que j’ai pris mes fonctions, j’ai mis la question des femmes dans l’espace francophone au cœur de mon agenda politique, car les femmes étaient les premières victimes collatérales de tous les conflits et de toutes les injustices qui existaient dans l’espace francophone. Quand j’ai lancé le projet du premier Forum mondial des femmes francophones à la fin de l’année 2012, j’ai immédiatement reçu le soutien du président de la République, Monsieur François Hollande. Je suis fière d’avoir pu créer une tribune internationale, une caisse de résonance où les femmes francophones ont pu faire entendre leurs voix sur des sujets aussi importants que le droit, le développement, la santé, la sécurité, l’éducation... Ce forum est à l’origine d’un réseau qui m’a soutenu quand j’ai décidé de porter la requête que ces femmes ont fait entendre à Paris lors de sa première édition en mars 2013 : nous voulions que la question des femmes devienne une des priorités du prochain sommet de la Francophonie. J’ai défendu cette requête auprès des instances francophones et des pays de la Francophonie. Le Secrétaire général de l’OIF, Monsieur Abdou Diouf et le président de la République du Sénégal, Monsieur Macky Sall ont été réceptifs à cette requête et ont placé le rôle des femmes dans le développement comme une des questions centrales du XVe sommet qui se tiendra à Dakar.

Vous avez eu très tôt cette intuition, concrétisée par le Forum mondial des femmes francophones, que les femmes et les jeunes sont la clé de la pérennité de la Francophonie. Où ce forum se tiendra-t-il l’an prochain et avec quels axes thématiques ?
Le troisième Forum mondial des femmes francophones se tiendra à Brazzaville les 3 et 4 mars 2015. Le thème principal sera le rôle culturel des femmes dans l’espace francophone. Ce thème recoupe aussi bien celui de l’éducation que celui de la culture, mais peut-être aussi plus précisément le rôle central que les femmes ont dans la transmission des coutumes et des traditions. C’est avec les femmes et pour les femmes que nous devons penser à l’impact des pratiques socioculturelles que les femmes se transmettent de génération en génération. Pour cela la question de la scolarisation des filles reste fondamentale, et le troisième Forum sera l’occasion d’interpeller les États afin que l’école obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans ne soit pas qu’une utopie. C’est le défi de l’Afrique moderne, car c’est l’éducation et la formation qui donneront aux filles et aux femmes les moyens de faire évoluer des sociétés où elles auront un rôle économique et culturel primordial.

Vous aviez lancé l’initiative « 100 000 professeurs de français pour l’Afrique ». Où en est-on aujourd’hui ? Cette action a-t-elle été poursuivie par votre successeur ?
Le programme que j’ai lancé est en cours de réalisation et fait partie des priorités de la secrétaire d’État chargée du développement et de la Francophonie. L’enseignement du français, la formation des professeurs, la formation des formateurs sont les piliers sur lesquels se construit l’avenir de la francophonie. La maîtrise et le partage de notre langue commune sont un enjeu crucial pour les 800 millions de locuteurs francophones qui vivront dans le monde au tournant du siècle. Mieux parler le français, c’est écraser les anciens repères coloniaux pour créer les repères de l’Afrique de demain, car pour ces francophones, dont 80% vivront sur le continent africain, la langue française sera non seulement la langue du savoir, des savoirs, mais également la langue du travail et la langue du commerce. Dans un monde francophone où la mobilité est un facteur de développement, maîtriser la langue française est un atout majeur pour accéder au marché du travail. Elle est la langue de la transversalité et du mouvement sur tout le continent. L’enjeu est donc autant économique que culturel, et plus particulièrement pour l’Afrique qui connaîtra une croissance à deux chiffres en 2050 !

En tant qu’ancienne ministre de la Francophonie et cinéaste, quel bilan tirez-vous de l’exception culturelle après une décennie ?
L’exception culturelle est une idée d’avant-garde, car elle a permis de mettre en lumière la nécessité pour un pays de pouvoir s’adapter à la mondialisation en faisant valoir et respecter les fondements de sa culture et de ses valeurs. C’est une idée extrêmement ambitieuse et généreuse dont s’inspirent d’autres nations francophones. Les résultats sont probants, notamment pour le cinéma : le cinéma français a pu non seulement résister à l’invasion des superproductions américaines, mais il a su aussi s’exporter en s’internationalisant. C’est grâce aux succès commerciaux de certains films et de certaines séries que le cinéma dit d’auteur peut perdurer et peut trouver des financements en France alors qu’il est en train de disparaître dans d’autres pays européens. L’exception culturelle ce n’est pas le repli, mais l’ouverture maîtrisée au monde qui permet à une culture de rayonner dans toute sa diversité. Cette diversité aujourd’hui, c’est le cinéma francophone tout entier, et plus particulièrement le cinéma africain qui sera le défi culturel et économique de demain. Le cinéma reste une industrie capitale, il se nourrit de nouvelles histoires et de nouvelles formes de narration. L’Afrique est un réservoir de récits et de créativité qui donnera aux cinéastes africains une place centrale dans l’évolution du cinéma.

La Francophonie a été créée en 1970 autour des valeurs d’égalité, de complémentarité et de solidarité. Diriez-vous que la Francophonie de 2014 est fidèle à ces valeurs ?
La Francophonie est restée fidèle à ses valeurs, elle les a fait reconnaître de plus en plus sur la scène internationale en devenant de plus en plus vigilante avec ses États membres sur la question des droits de l’homme notamment. Elle est devenue un espace de codéveloppement et de partenariats dans des champs aussi divers et fondamentaux que l’éducation ou la sécurité. La Francophonie est une école de la démocratie et un espace de liberté qui doit défendre l’intégrité et la stabilité de chacun de ses membres.

Que pensez-vous avoir apporté à la Francophonie grâce à votre nomination ?
Dès mon arrivée au gouvernement en octobre 2012, je me suis fixé trois priorités sur ma feuille de route à la tête du ministère de la Francophonie : faire du droit des femmes une question centrale dans l’espace francophone ; renforcer l’enseignement de la langue française et la formation des formateurs et des professeurs ; et développer la francophonie économique. Ces trois chantiers sont toujours ouverts et constituent les axes prioritaires de l’action de la France, et je suis fière, oui, qu’ils soient aujourd’hui devenus les fers de lance des actions de développement et de partenariats dans tout l’espace francophone.

Quel est votre rêve pour la jeunesse francophone en général, celle d’Afrique en particulier ?
Je partage avec cette jeunesse dynamique et souvent impétueuse le rêve d’une francophonie sans frontière où notre langue commune réussira à faire tomber une à une toutes les barrières et tous les préjugés qui nous séparent encore parfois les uns des autres. La francophonie doit se débarrasser des oripeaux de la colonisation pour que le français devienne une langue moderne et égalitaire : les grands chantiers de demain se construiront sur le continent africain, et pour cela une langue africaine commune sera nécessaire pour que tous ces jeunes puissent trouver du travail. Cette langue africaine commune, c’est la langue française. Pour cela, il faut non seulement développer les autoroutes digitales du savoir en français, mais il faut aussi construire l’autoroute humaine de l’espoir au sein de la Francophonie.

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou et Florence Gabay