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OIF - Sommet de Dakar : "En tant que représentant du Congo, j'ai mal vécu cette francophonie", déclare Pierre-Michel Nguimbi

Samedi 6 Décembre 2014 - 13:45

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Au lendemain du sommet de la francophonie, l'ambassadeur du Congo au Sénégal, Pierre-Michel Nguimbi, revient sur la désignation "controversée" de la nouvelle secrétaire générale. 

Les Dépêches de Brazzaville : Excellence, le Sommet de la francophonie vient de se terminer. Quelles conclusions en tirez-vous ? 

Pierre-Michel Nguimbi : Ce sommet s'est conclu par l'élection du nouveau secrétaire général et par la déclaration de Dakar. La francophonie des peuples a été placée au cœur des débats avec un accent essentiel dans la poursuite de ce qui avait été entamé à Kinshasa, notamment la francophonie économique. Dans cette francophonie économique, une orientation de développement durable est souhaitable pour que le legs fait à nos enfants soit celui d'un monde meilleur, moins sujet aux catastrophes. Dans ce sens, le sommet de Dakar a été un bon sommet.  Mais avec une réserve.  Avec la francophonie, il est question de peuples qui décident de partager une langue commune et ne cherchent pas à imposer la culture de l'une ou l'autre des nations membres. Dans cette culture, on peut mettre ce qui fait de vous un Français ou un Congolais, mais il apparaît aussi une culture politique que l'on veut amener comme une panacée.

LDB : Vous considérez que au sein même de la Francophonie l'équilibre des nations n'est pas respecté ?

P-M.N : Lorsque des peuples se rencontrent, le principe de fraternité doit dominer. Dans la notion de fraternité il y a la notion de tolérance, et pour atteindre la tolérance, il faut passer par le dialogue. Nous sommes plusieurs communautés d'intérêts, plusieurs communautés culturelles, il importe donc de privilégier la tolérance, le dialogue et la médiation. En tant que représentant du Congo, j'ai mal vécu cette francophonie. D'abord parce que notre candidat a perdu. Et il a perdu non pas, parce qu'il n'était pas l'un des meilleurs, mais parce que nous nous sommes arrêtés à quelque chose d'essentiel : la confiance. Au Liban, le Congo s'était retiré. Nous avions tous les atouts et cet excellent ancien secrétaire général qu'est le président Abdou Diouf avait été désigné. Nous nous sommes inclinés au nom de la médiation. Nous attendions que ce qui avait été promis se réalise ici.

On parle souvent de continuité des États. Dans bien des domaines essentiels où la morale, l'éthique, la parole donnée sont de mise, il n'est pas besoin d'acter. Au Liban, le Congo s'était incliné et attendait son tour. La position dans laquelle le Congo a été placé à Dakar nous a profondément attristé.

LDB : Les tractations à huis clos qui ont précédé la nomination du nouveau secrétaire général ont été difficiles. Le président du Congo n'aurait pas été entendu comme il se doit...

P-M.N : Certains médias ont assuré que le président de la République avait quitté la table fâché. Le président Sassou n'était pas fâché, il a été offusqué, indigné. Ceux qui le connaissent savent que vous ne pouvez pas percevoir en lui un geste brusque. Le chef de l'État est un homme noble. Plusieurs chefs d'État étaient absents et avaient laissé leur ministre des Affaires étrangères les représenter. Le président lui, est resté pendant toute la durée du sommet. Il a mené une négociation âpre. J'étais triste d'entendre des commentaires qui n'ont pas loué son esprit de dialogue, de médiation. Alors qu'il s'attendait à voir son candidat vaincre, il a accepté, une fois de plus, en bon francophone, cette défaite.

C'est une leçon pour la francophonie. Apprenons à parler sereinement, parfois des sujets qui fâchent, sans pour autant être vilipendés. Nous sommes dans une francophonie d'addition, je dirai même d'accélération, de multiplication, pas dans une francophonie qui consiste à mettre des zéros. Quand un pays prend un zéro, c'est la francophonie qui perd.

LDB : Vous avez évoqué la francophonie des peuples, la francophonie économique. Que doit-on attendre de la francophonie politique ?

P-M.N : Nous espérons que cette francophonie politique va poursuivre son travail notamment dans les missions de prévention et règlement des conflits. Plusieurs pays d'Afrique traverseront une période d'élections dans les années qui viennent. Certains d’entre eux vont être demandeurs de médiation. Mais il est souhaitable que cette médiation soit juste et respectueuse des peuples et des États. Dans la francophonie, il n'est pas besoin de privilégier le rapport de force mais de mettre en avant l'intérêt que nous avons à partager cette langue tout en respectant les valeurs propres à chaque peuple, leur spécificité culturelle et historique. Et surtout, nous devons promouvoir plus souvent le principe de réciprocité. L’intérêt pour la langue français est notre raison d’unir nos peuples sans avoir à exercer un quelconque rapport de force. Le Congo n’a pas vécu cette juste réciprocité. Après avoir, dans l’intérêt de la Francophonie, fait gagner le consensus au Liban lors du choix du précédent secrétaire général de l’OIF, c’est une forme de rapport de force qui a prévalu à Dakar.

LDB : Certains pays d'Afrique centrale ne se seraient pas rassemblés autour du candidat Henri Lopes. Est-ce un problème en soi ?

P-M.N : Se rassembler autour d'un candidat, c'est considérer que Henri Lopes n'était que le candidat de l'Afrique centrale. Or, il avait de nombreux soutiens au-delà de notre sous-région. Dans ce genre de désignation, des rapports d’intérêts et de force se créent. Henri Lopes était le candidat de la francophonie. Ce qui vient de se dérouler à travers le choix d'une enfant d'Afrique, haïtienne, francophone, quelque part américaine, est la preuve que la francophonie est aussi un métissage. Un combat autrefois porté par Léopold Sédar Senghor qui peut aussi interpeller les chefs d'État sur la façon de désigner le secrétaire général. Cette désignation ne devrait-elle pas être un processus participatif qui résulterait de l’expression des communautés d'écrivains, d'artistes, de chercheurs, de femmes, de jeunes et des chefs d’États ? La vraie démocratie est portée par les peuples et donc par le respect et la prise en compte des différentes communautés d’intérêts.

LDB : Le président Hollande a orienté la décision finale. Ce qui s'est passé à Dakar va-t-il influencer l'organisation même de la Francophonie ?

P-M.N : Nous devons réfléchir au mode de désignation du secrétaire général. Peut-être faut-il aller à l'élection avec de vraies campagnes et des grands électeurs qui exprimeraient la diversité de la francophonie, cette multitude, ce métissage en respectant les peuples et les États. La francophonie ne doit pas être comme l’Organisation des Nations unies avec ce droit de veto qui permet à certaines grandes puissances de décider en imposant leur dictat par un vote qui tombe comme un couperet sur les pays moins forts ou moins riches.  Si la francophonie devait fonctionner ainsi, nous n'aurions plus besoin d'elle, l’ONU suffirait. En tant que francophone et au-delà de ma position de diplomate, si l’OIF calque son organisation et ses mécanismes sur l’ONU, alors cette francophonie des puissants sur les faibles et de l’invective n’est plus la mienne. 

Avec le discours du président Hollande, il semble que l'on prend le risque d’une francophonie pour les puissants. La France, par la responsabilité de son président, risque d’altérer une organisation et un outil formidable. L’unilatéralisme que semble porter François Hollande est à l’opposé des principes de consensus et de solidarité auxquels aspire la francophonie. Celle qui rend possible le partage et le métissage de nos modes de vie, de nos cultures, de nos sensibilités, de nos senteurs et de nos couleurs. Ce rêve est maintenant en train de s’affaiblir.

LDB : Ce sommet ne marque-t-il pas déjà l'affaiblissement de la francophonie ?

P-M.N : Je ne veux pas dire que c’est l’élection du nouveau secrétaire général de l’OIF qui aura affaibli la francophonie. Mais si l'on perdure dans la manière de faire et dans le ton utilisé lorsque nous échangeons, cela détruira à terme l’esprit de la francophonie des pères fondateurs. Une prise de conscience est nécessaire et je trouve malheureux que les hommes de paix, de dialogue, de savoir-vivre, ne se soient pas suffisamment exprimés pour opposer la dignité au rapport de force. Ce n'est pas parce que le président François Mitterrand, un jour, à la Baule, s'est permis ce qu'il avait dit, qu'il faut le répéter systématiquement. Les chefs d’États et de gouvernements africains ne viennent pas pour recevoir des leçons de morale. Ils ne sont pas des sous chefs d'États quand ils sont à côté du président français ! On ne peut pas recommencer impunément au risque que, un jour, certains d'entre eux se lèvent et quittent la table. Ce serait un désastre. Ce minimum d'humilité, de courtoisie, est essentiel.

Dans les chemins de la démocratie, il existe plusieurs formes d'expression. Des royaumes, par exemple. Le Maroc en est un. Est-ce pour autant qu'il manque de dimension ou de niveau d'expression démocratique ?  Est-il besoin d'imposer comme un dictat une forme de démocratie plus qu'une autre dans la francophonie ?

LDB : Pourtant, pendant ce sommet le président Français Hollande est longuement revenu sur sa perception du principe de démocratie.

P-M.N : Si j'étais professeur, si j'avais une note à donner, je dirais "hors sujet". Le thème était connu, "Jeunes, femmes en francophonie, vecteurs de paix, acteurs de développement". La courtoisie a voulu qu'on écoute le discours jusqu'au bout. Le président Denis Sassou N’Guesso aurait pu demander de prendre la parole. S'il l'avait fait comme le président français, dans quel type de débats aurait-il entraîné la francophonie ?

Des chamailleries ? Des disputes ? Il est essentiel que cesse cette façon de faire et que l'on ne saisisse pas cet évènement commun, ce moment exceptionnel d’harmonie et de communion pour se livrer à des vexations et exacerber des tensions. Le Congo reste au sein de la francophonie mais il appelle à une francophonie de paix, de dialogue, de médiation et de respect mutuel.

LDB : Beaucoup de critiques ont été formulées ces derniers jours. Pourtant ces voix de l'Afrique ne sont pas entendues. Peut être aurait-il fallu se lever, quitter la salle ?

P-M.N : Cela aurait été inconvenant. Qui gagnerait à un tel comportement ? Il n'a pas sa place dans la politique et la diplomatie. Lorsque l'on est noble, on va jusqu'au bout des choses sans perdre son âme. Notre président est noble. Lorsque le Congo a traversé des moments difficiles, il a agi avec intelligence, sagesse et pragmatisme.

Un homme politique n'est pas là pour être aimé mais pour être suivi si sa voie est la bonne. Quand il est sûr de la justesse du chemin, il conduit son peuple vers des lendemains meilleurs. Nous savons que le président Denis Sassou N'Guesso, en matière de paix et de développement, ne nous emmène pas vers un abîme. Durant son magistère, il a fait bien plus que ce que tous les pouvoirs précédents, le pouvoir colonial y compris. C'est bien beau de formuler ces reproches mais ce n’est ni le rôle, ni la mission de la Francophonie. Leurs blessures à peine cicatrisées de l’esclavage et de l’oppression, les Africains doivent maintenant transcender leurs contradictions et relever de multiples défis sans avoir a subir d’autres vexations ni humiliations dans le cadre d’une francophonie que nous voulons métisse, solidaire, respectueuse et prometteuse pour des peuples divers.

LDB : L'Afrique a des richesses, attire les convoitises et subit des critiques de la part des pays du nord. L'Europe a-t-elle encore sa place en Afrique ?

P-M.N : Notre continent intéresse parce qu'il est cette zone vierge, encore naturelle où tout peut encore se construire avec intelligence et raison, surtout dans le cadre d’un développement durable où la préservation des écosystèmes mondiaux de la nature s’impose. Nous avons des potentiels, un sous-sol et un sol riches, presque vierges de toute agression industrielle. Un jour l'Afrique sera le grenier du monde. Mais construira-t-on ce nouveau monde sur les cendres des vieux clichés, de la discrimination et d'un apport de force brutal ? J'ai entendu monsieur Alain Juppé et le président Hollande dire que la France n’a pas peur de la concurrence. Souvent, lorsqu'une personne commence à répéter à la maison "c'est moi le chef de famille", c'est qu'il commence à douter. Les Européens qui ont quitté l'Afrique en développement peuvent revenir librement. Ils seront en compétition avec la Chine et les pays qui participent aujourd'hui au développement de nos infrastructures ; des nations qui n’exigent rien d’autre que d’apporter leurs savoir-faire dans un monde ouvert respectueux des lois et règlements des États africains.

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Bénédicte de Capèle