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Jeudi 4 Décembre 2014 - 10:45

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Selon une règle tacite, le secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) était Africain tandis que l’administrateur était issu d’un pays du « Nord ».  Ces dernières années, l’administrateur Clément Duhaime, Canadien, présidait aux destinées de l’OIF aux côtés de son secrétaire général, le Sénégalais, Abdou Diouf.

La rupture dans la continuité

La nomination de la Canadienne Michaëlle Jean au poste de secrétaire général de l’OIF et l’annonce de la nomination future d’un administrateur africain vient inverser cet ordonnancement des choses. Cependant une règle demeure depuis la création de l’OIF en 1997 : la France, qui est le plus important contributeur au budget de l’organisation, s’arroge le droit d’en désigner le secrétaire général. Ce fut le cas en 2002 avec le président Abdou Diouf et cela l’est encore en 2014 avec l’ ex-gouverneur général du Canada, Michaëlle Jean.
François Hollande l’avait d’ailleurs rencontrée à Ottawa, début novembre, lors de sa visite officielle au Canada. La candidate Jean, a été le seul prétendant à la succession d’Abdou Diouf que le président français a rencontré avant la tenue du sommet de Dakar.

Michaëlle Jean qui a épousé un Français, a possédé elle-même un temps la nationalité de ce pays comme l’a relevé François Hollande lors de la conférence de clôture du sommet de la Francophonie. Ainsi que l’a fait observé une source diplomatique africaine citée par l’AFP : «la France a imposé ses règles et son candidat, tout en affirmant le contraire. Ce n’est pas l’élue qui pose problème, elle a les qualités et l’expertise requise, c’est la manière qui pose problème.» Cela laissera certainement des traces dans les relations entre le continent et la France.

Malgré tout, ce sont finalement les deux régions qui, concrètement, défendent le plus la francophonie qui demeurent aux commandes de l’organisation, celle-ci ne suscitant guère d’intérêt en France. Pour preuve, les deux journaux télévisés nationaux, ceux de TF1 et de France 2 n’ont pipé mot des assises qui se tenaient à Dakar, tout comme ce fut le cas d’ailleurs du sommet Afrique-France de décembre 2013 qui se tenait pourtant dans la capitale hexagonale. Si l’Afrique parvient à désigner au poste d’administrateur une personnalité au profil fort et qu’elle augmente sa contribution financière au sein de l’organisation, tant il est toujours difficile de parler haut avec l’argent des autres, le continent qui compte le plus grand nombre de locuteurs du français, pourra sans doute continuer d'imprimer sa marque au sein de l’OIF. Autre inconnue : le Canada qui avait prévu d'augmenter sa contribution financière dans les budgets de l'OIF, et qui est un bien plus ardent défenseur de la francophonie que l'hexagone, n'aura-t'il pas la tentation tôt ou tard de s'affranchir de la tutelle française ? 

La troisième vie de la francophonie

La nomination de Michaëlle Jean à la tête de l’organisation internationale de la Francophonie marque l’entrée de l’organisation dans sa « troisième vie ». Après la francophonie linguistique et culturelle puis la francophonie politique du tournant des années 2000, brillamment imposée par le mandat du président Abdou Diouf, c’est désormais l’ère de la Francophonie économique qui s’est ouverte à Dakar.

Si personne ne peut en donner les contours, l’exécution de la stratégie économique de l’OIF, adoptée lors du sommet des 29 et 30 novembre par les chefs d’État ayant le français en partage, par la nouvelle secrétaire générale devrait en fixer le contenu. La tenue à Dakar du premier Forum économique francophone, à l’initiative de la France, au lendemain du sommet de l’OIF, a donné le ton de cette nouvelle dimension de la Francophonie. On se souviendra qu’au mois d’août, Jaques Attali avait rendu au président de la République française un rapport intitulé « Francophonie et francophilie : moteurs de croissance durable » qui proposait, entre autres, la création d’une union économique francophone. L’objectif étant « de transformer la solidarité linguistique en opportunités économiques et  en perspectives de développement communs ».

« Il n’y a pas de traducteur »

La nomination de Michaëlle Jean qui fut, en tant que gouverneure général du Canada, représentante officielle de la reine d'Angleterre, Elizabeth II, à Ottawa, illustre parfaitement ce glissement de la francophonie à la francophilie. Bilinguisme canadien oblige (les officiels de ce pays ont l'obligation de s'exprimer en anglais et en français lorsqu'ils prennent la parole publiquement), la nouvelle Secrétaire générale est intervenue en anglais lors de sa première conférence de presse…"il n'y a pas de traducteur" a observé le modérateur quelque peu décontenancé…tout un symbole !

La Francophonie nouvelle, économique, sera peut être également plus ouverte à d’autres régions du monde francophone et décentrée de l’Axe Afrique-France.  Pourquoi pas une ouverture vers l'Asie à laquelle Jean a fait référence plusieurs fois lors de la conférence de presse de clôture du sommet, mais également vers les nouveaux pays ayant adhéré à l’OIF tels que le Mexique, le Costa Rica, le Kosovo, le Qatar ou l’Uruguay qui dépassent largement les frontières de la francophonie linguistique ?

Wait and see*, comme on dit désormais en francophonie !

 

*Attendons et voyons, NDLR

Rose-Marie Bouboutou