Interview. Huriel Nganga Loubou : « Nous devrons nous battre pour préserver notre histoire »

Samedi 5 Mai 2018 - 14:08

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Titulaire du diplôme international d’études patrimoniales, Huriel Nganga Loubou évolue aujourd’hui dans un secteur d’activité peu visité par les étudiants africains. Il fait partie de ces Congolais de la diaspora ayant choisi le chemin de l’entrepreneuriat, avec toujours le zeste sensible de servir son pays, le Congo. Entre valorisation du patrimoine et aménagement d’espaces propices de conservation d’archives, il donne son avis sur l’une des problématiques au cœur de la souveraineté des pays africains et parle évidement de son parcours.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.): Vous aviez fait vos études de Patrimoine en France, un secteur peu côtoyé par de jeunes étudiants africains. Pourquoi cette orientation ?

Huriel Nganga Loubou (H.N.L.): C’est sans doute dans la tradition d’héritage du métier que je suis devenu conservateur d’archives. Mon père, Eugène Loubou, est archiviste, il a dirigé les archives municipales de Brazzaville. J’ai eu le goût de l’histoire dès mon jeune âge. En effet, après avoir effectué un stage dans son service, j’ai vu ce qu’était le métier d’archiviste, un métier d’une grande diversité, un métier passionnant. Cette dimension de gardien de mémoire m’a beaucoup plus. Puis, après mes études d’économie de gestion d’entreprise, j’ai décidé de m’orienter vers les études de lettres.  Après un stage sur la pratique archivistique effectué à la Direction des archives de France, je suis rentré à l’Institut national du patrimoine (INP) et j'ai obtenu le diplôme international d’études patrimoniales « spécialité archives ».

L.D.B.: Finalement, vous avez choisi de créer votre propre entreprise, Archivo. Dites-nous comment cela s’est-il passé ?

H.N. L.: À la sortie de l’INP, j’ai tout de suite intégré l’équipe d’archivistes chez Studia conseil (anciennement Lifing) et au bout d’un an (2012), j’ai eu l’idée de créer ma propre structure de conseil et de traitement d’archives. N’ayant trouvé personne avec qui m’associer, j’ai abandonné le projet et travaillé comme consultant archiviste jusqu’en 2013. Ensuite, j’ai rejoint la société Recall France comme records manager de 2014 à 2015. Le déclic a été mon déménagement à Nancy. L’été 2014, quand on emménage à Nancy, je continue à venir travailler à Paris et sa région. Les allers-retours au quotidien m’ont donc poussé à créer Archivo, ne trouvant pas de poste d’archiviste dans la région. En mai 2015, j’ai donc décidé de mettre fin à mon contrat pour créer ma boîte à Nancy, société par actions simplifiées (SAS). Aujourd’hui, nous sommes quatre salariés pour 200 000 € de chiffre d’affaires.

L.D.B.: Quels sont les domaines de compétences d'Archivo ?

H.N.L. : Archivo est un prestataire de services spécialisé dans l’ingénierie documentaire et dans le traitement de fonds d’archives. Nous proposons nos services aux différents types d’entreprise, de la PME aux grandes entreprises et services publics. Nos prestations s’articulent autour de l'archivage physique et conseil en gestion de documents (formation, audit documentaire, …). Aussi, dans un monde où la dématérialisation prend de plus en plus de place, Archivo accompagne ses clients dans des projets d’archivage électronique normalisé et performant. Aujourd’hui, nous travaillons sur le développement de nos propres solutions informatiques, de gestion électronique de documents et de système d’archivage électronique afin de pouvoir ajouter rapidement des fonctionnalités et caractéristiques à nos offres, en fonction de besoins et de spécificités de nos clients.

L.D.B.: Êtes-vous satisfait de votre parcours d’entrepreneur en France ?

H.N.L. : Entrepreneur est un métier exaltant, mais difficile. Voler de ses propres ailes et assumer des risques, quand on a eu longtemps une rémunération fixe qui tombe tous les mois quoiqu’il arrive, le comité d’entreprise pour les vacances, etc., ce n’est pas chose facile. Il faut rappeler qu’en France, une jeune entreprise sur deux n’atteint jamais son 3e anniversaire. Ce constat fait froid dans le dos et peut refroidir les aspirants créateurs. Archivo fêtera son 3e anniversaire le 18 mai et je dirais plutôt que l’entreprise se porte bien.

L.D.B.: Partagez-vous cette analyse selon laquelle la gestion et la valorisation documentaire en Afrique constitue encore un problème et pourquoi selon vous ?

H.N.L. : La mise en valeur du patrimoine culturel, sa sauvegarde, sa protection et son enrichissement devraient être une des missions premières du ministère en charge de la culture. Le patrimoine n’est pas seulement une charge, il est un atout majeur pour l’attractivité des territoires, l’équilibre économique, l’identité et la cohésion sociale. La valorisation du patrimoine passe avant tout par l’amélioration des dispositifs de conservation, d’information et d’évaluation qui incluent, notamment, une meilleure information du public sur le patrimoine écrit, les monuments et musées délaissés. Les États africains peuvent, en effet, être capables de gérer et mettre en valeur leur patrimoine, nous devrons nous battre pour préserver, avec les moyens qui ne sont pas toujours à la hauteur des besoins, notre histoire.  Il faut donc donner les moyens aux professionnels de culture pour mener à bien cette mission fondamentale, mettre en œuvre des politiques correspondant au contexte local et des pratiques de travail permettant de tirer profit des archives.

L.D.B.: L’Afrique possède des archives patrimoniales et historiques très importantes. Quelles sont les problématiques que posent leur valorisation et leur conservation ?

H.N.L .: En m’appuyant sur l’histoire des institutions archivistiques et documentaires en Afrique francophone avant et après les indépendances pour dresser un état des lieux de l’organisation, la gestion des archives historiques s’est plutôt dégradée au fil des années. Les dirigeants africains doivent prendre toute la mesure du problème crucial des archives. Une prise de conscience est nécessaire. Cette situation alarmante s’explique non seulement par la structuration encore faible de la fonction archives dans nos administrations mais également, elle ne bénéficie pas encore de la place qui est la sienne. Un des grands défis du XXIe siècle des États africains sera la mise en valeur du patrimoine, le patrimoine écrit notamment. Se doter des bâtiments dédiés à la conservation des archives et des collections patrimoniales serait déjà un grand pas. Je reste optimiste pour le Congo car le projet de construction du Centre national des archives et de la documentation constitue un véritable espoir.  

L.D.B.: Vous aviez récemment séjourné au Congo. Avez-vous des projets avec des institutions habilitées à ce propos ?

H.N.L.: C’est toujours un plaisir de servir son pays. Contrairement à ce qui se dit ici ou là, la diaspora africaine s’organise autour de plusieurs projets dans le but d’apporter sa contribution aux pays dont elle est originaire. J’ai rencontré Mme Belinda Ayessa, directrice générale du Mémorial Pierre-Savorgnan-De-Brazza lors de mon séjour à Brazzaville. Nous avons échangé sur certains projets, notamment celui d’inventorier les collections appartenant à Pierre Savorgnan de Brazza dans le but de procéder à leur rapatriement.

Propos recueillis par Quentin Loubou

Légendes et crédits photo : 

Huriel Nganga Loubou

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