65 ans de culture congolaise : influences et avenir(Dossier 15 août )

Jeudi 14 Août 2025 - 16:25

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Depuis le 15 août 1960, le Congo s’affirme comme une terre de talents et d’inspiration. De la rumba des Bantous de la capitale à l’école de peinture de Poto-Poto, en passant par le théâtre corrosif de Sony Labou Tansi et la jeune création numérique, la culture congolaise a traversé les époques en conjuguant identité, audace et ouverture.

Le 15 août 1960, au moment où le drapeau tricolore vert-jaune-rouge remplace l’étendard français, la création congolaise s’apprête à vivre une ère d’effervescence. Le climat politique et social nourrit une fierté retrouvée qui irrigue toutes les formes d’expression tant économique, politique, sociale, religieuse et même artistique. Et s’agissant de cette dernière, le Congo se verra impacté de plusieurs manières.

En musique, par exemple, la rumba congolaise, déjà populaire avant l’indépendance, prend un nouvel essor. Les Bantous de la capitale, fondés en 1959 par Jean-Serge Essous et Nino Malapet, deviennent l’un des porte-étendards du Congo. Leur sonorité, mélange de traditions locales et de modernité, conquiert l’Afrique centrale. Parallèlement, des voix engagées comme celle de Franklin Boukaka portent un message social et panafricain, notamment avec des titres tes Le bûcheron.

Dans les arts visuels, l’école de peinture de Poto-Poto, créée en 1951 par Pierre Lods, atteint sa pleine maturité. Les toiles éclatantes, inspirées du quotidien urbain et rural, s’exportent à Paris, New York et Tokyo. Des figures comme Marcel Gotène, François Thango, François Iloki, Philippe Owassa, Joseph Dimi, Nicolas Ondongo, Jacques Zigoma, Eugène Malonga, André M'Bon, Michel Hengo… ont contribué à la renommée internationale du Congo et particulièrement de l'école, connue pour son style distinctif et son expression de "l'africanité ».

Au théâtre et en littérature également, des plumes émergent. Emmanuel Dongala, jeune chimiste passionné d’écriture, signe ses premières nouvelles. Le théâtre amateur se professionnalise, avec l’arrivée des dramaturges comme Guy Menga ou Sony Labou Tansi. Leurs textes, souvent joués dans les maisons de culture et sur les places publiques, questionnent le rapport au pouvoir, à la modernité et à la tradition.

1980-1999 : résistance, engagement et ouverture

La décennie 1980 s’ouvre sur un contexte politique marqué par des tensions, mais les artistes transforment la scène culturelle en espace de parole et de résistance. Au théâtre, Sony Labou Tansi, en collaboration avec Nicolas Bissi et Marie-Léontine Tsibinda, fonde le Rocado Zulu Théâtre en 1980. Ses pièces, comme « La Parenthèse de sang » ou « Antoine m’a vendu son destin », voyagent de Brazzaville à Avignon, imposant le Congo comme un foyer de création théâtrale mondiale. Son écriture, à la fois poétique et incisive, devient un modèle d’engagement artistique et en parallèle de dénonciation des vices sociaux.

En musique, l’orchestre Extra Musica, créé en 1993 à Brazzaville, incarne la relève. Porté par Roga-Roga, le groupe modernise le rythme congolais mêlant soukouss et rumba, et en fait un produit d’exportation, tout en restant profondément ancré dans les sonorités locales. Trois ans plutard, le Festival panafricain de musique nait et pour les artistes congolais, comme ceux des autres pays du continent, c’est une belle vitrine d’expression et de promotion. Bisso Na Bisso, collectif en partie brazzavillois créé en 1999, qui fusionne rap et rumba, fait ses premiers pas et apporte un nouveau souffle musical dans le pays. À côté, l'on voit aussi Kevin Mbouandé et le groupe Patrouille des stars s’illustrer par leur talent.

Dans les arts visuels, des artistes comme Bill Kouélany apparaissent peu à peu sur la scène brazzavilloise. Sa peinture et ses installations, ancrées dans une réflexion sur la mémoire et la violence, annoncent les orientations de l’art contemporain au Congo. Et, la littérature voit l’affirmation d’Henri Lopes, Jean-Baptiste Tati Loutard, Sylvain Bemba ou encore Marie-Léontine Tsibinda… qui offrent au roman et à la poésie congolais une visibilité sur les scènes francophones.

2000-2015 : renaissance créative et nouvelles plateformes

Après les conflits des années 1990, le début des années 2000 est celui d’une reconstruction sur tous les plans en République du Congo. La culturelle ne déroge pas à la règle.

Dans la musique, Extra Musica continue de régner, mais d’autres artistes se distinguent, tels Zao, qui mêle humour et engagement social. On compte également dans la même décennie des groupes et artistes comme Bana Poto-Poto ; TH musica ; Trésor Mvoula ; DJ Rox ; DJ Antivirus ; Nzete Oussama… qui contribuent à la vie musicale congolaise.

Au théâtre, le festival Mantsina sur scène, fondé en 2003 par la comédienne congolaise Sylvie Diclo Pomos, devient un rendez-vous majeur. Organisé chaque fin d’année à Brazzaville, il attire des metteurs en scène et comédiens d’Afrique, d’Europe et des Amériques, tout en offrant une vitrine à la jeune création congolaise.

L’humour aussi se professionnalise davantage jusqu’à avoir un festival international créé en 2004 par Lauryathe Céphyse Bikouta et dénommé « Festival tuSeo ». En arts visuels, Bill Kouélany fonde Les Ateliers Sahm en 2012, un espace de formation et de résidence pour jeunes artistes visuels, poètes et performeurs, qui permet à une nouvelle génération de s’exprimer et de s’affirmer.

En littérature, des auteurs à l’instar d’Alain Mabanckou, bien que basés à l’étranger, prennent le relais d’une génération d’écrivains qui continuent à nourrir la scène littéraire congolaise à l’international par leurs œuvres et des échanges avec les jeunes auteurs. A ses côtés, d’autres plumes ou noms suscitent également admiration et respect, à l'instar de Gabriel Mwènè Okoundji, André Patient Bokiba, Émile Gankama, Alima Madina, Pierre Ntsemou, Henri Djombo, etc.

2016-2025 : créations artistiques, numérique et globalisation

Au Congo, la dernière décennie est une période qui a non seulement connu la floraison de la vie artistique dans les grandes villes du pays mais aussi celle qui a connu une accélération des échanges grâce au numérique. La littérature continue de se déployer avec brio. La musique, autrefois jouée en live ou écoutée à la radio, s’invite sur les plateformes numériques comme YouTube, Spotify et TikTok au point de devenir viral à travers des challenges ou reprise en tout genre. Des artistes comme Roga-Roga, Tidiane Mario, Fanie Fayar, Les mamans du Congo, Nestelia Forest… touchent un public intergénérationnel de divers horizons. Les clips mêlent danses urbaines, décors brazzavillois et codes visuels globaux. Les spectacles peuvent être suivis par des milliers d’internautes à distance mais en temps réel. La possibilité aussi d’être repéré par des managers, sponsors, tourneurs ou producteurs grâce à une visibilité qu’offrent ces plateformes en ligne.

De même, les arts visuels connaissent un regain d’intérêt grâce à des expositions itinérantes et aux réseaux sociaux. Des plasticiens à l'image de Bil Kouélany, Sardoine Mia, Punch Mak et bien d’autres exposent de plus en plus à Brazzaville et surtout à l’étranger. On assiste désormais à la naissance des galeries virtuelles. A ce propos, l’école de peinture de Poto-Poto qui autrefois se contentait d’être accessible physiquement a été dotée d’une plateforme en ligne en 2024. Ce, avec l’appui des ministères des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique ; de l’Industrie culturelle ; des Petites et moyennes entreprises. La photographie aussi revêt des lettres de noblesse grâce au génie des artistes comme Baudoin Mouanda, Robert Nzaou, Lebon Zed, Armel Luyzo … qui participent à différents festivals et contribuent à faire connaître le talent local.

La danse ne reste pas en marge car ce qui était pris pour une distraction dans les années antérieures devient un art respecté comme tout autre. Les artistes solo ou groupes émergent, reçoivent des distinctions et font le tour du monde, notamment Sam BB, Karel Kouelany, Pop Ice, etc. Aussi, le Congo qui s’ambiançait au rythme du « ndombolo » venu de la République démocratique du Congo se voit être doté d’une chorégraphie plus urbaine dénommée « mopacho » et devenue une marque déposée du pays, contribuant à son identité culturelle et artistique.

À côté des figures comme Sébastien Kamba, pionnier du cinéma congolais, l’on assiste dans cette période de l’évolution du pays à l’émergence de nouveaux visages. Le documentaire s’illustre avec des réalisateurs comme Hassim Tall Boukambou ou Michael Gandoh. La fiction prend de l’ampleur, portée par des initiatives indépendantes et des coproductions avec des partenaires africains et européens grâce à des réalisateurs de la trompe de Claudia Yoka, Richi Mbebele, Liesbeth Mabiala, Amour Sauveur, Albe Diaho, Saïd Bongo, etc.

« Avec l’avènement d’internet, la création s’est largement démocratisée en ligne. Face à une concurrence accrue, les artistes redoublent d’efforts pour proposer des contenus toujours plus attractifs. De nouvelles disciplines émergent, telles que le web-humoriste ou le web-comédien », a confié le photographe Lebon Zed.

La mode émerge tel un champ de création reconnu. Des créateurs locaux revisitent le pagne et biens d’autres tissus traditionnels ou modernes en y ajoutant des coupes contemporaines, avec un ancrage fort et une visibilité renforcée par les réseaux sociaux. Parmi les fiertés du pays, Hippolyte Diayoka Adriana Talansi, etc.

Le slam, un genre artistique mêlant poésie et musique urbaine s’invite sur la scène et conquiert un public majoritairement jeune. Des voix comme celles de Mariusca Moukengue, Black Panther, Mwassi Moyindo retentissent. « Le slam est un art qui a su vendre les couleurs de la poésie congolaise à l’échelle internationale. Il apporte un souffle nouveau dans la sphère culturelle à travers les collaborations des artistes slameurs et d’autres disciplines. Il faut aussi noter que la création d’un nouveau festival de slam, le Festival international Slamouv, a su vendre la destination Congo dans la mesure où il fait briller les couleurs de la culture congolaise », a notifié la slameuse Mariusca.

Défis et perspectives

Si le dynamisme culturel du Congo est indéniable, le talent et les créations de plus en plus affinés, un cadre juridique adopté en 2022 sur le statut de l’artiste…, les défis restent néanmoins importants : le financement des projets artistiques par les nationaux, la valorisation et la conservation du patrimoine matériel et immatériel culturel et artistique, la consommation massive des œuvres congolaises par les Congolais, la visibilité à l’échelle continentale et mondiale, la pluralité des espaces d’expression culturels, la décentralisation de la vie culturelle et artistique, etc.

« Un pays sans cinéma se prive de miroir ; et depuis l’indépendance, le Congo peine à s’y refléter. Soixante-cinq ans après l’indépendance, notre cinéma n’a toujours pas su raconter l’essentiel de notre mémoire collective. C’est regrettable, car tout ce temps aurait pu servir à transmettre nos histoires, honorer nos héros et faire rayonner notre culture au-delà de nos frontières. Certes, quelques cinéastes passionnés ont réalisé des œuvres et certains festivals ont vu le jour. Mais sans politique publique ambitieuse, sans infrastructures adaptées et sans véritable économie du secteur, ces efforts demeurent isolés », pense Richi Mbebele, réalisateur congolais.

Un avis que partage aussi le photographe congolais Lebon Zed. « 65 ans d’indépendance, le Congo peine encore à instaurer une véritable politique culturelle. Les opérateurs et acteurs culturels luttent pour s’imposer sur la scène artistique nationale. Dans la plupart des cas, ces opérateurs dépendent de financements externes », souligne-t-il. Pour lui, très peu de mécènes nationaux et décideurs politiques soutiennent les projets culturels et artistiques. « Un effort majeur reste à fournir », estime-t-il.

Face à cela, quelques solutions se dessinent déjà, à savoir le renforcement des résidences artistiques, la numérisation et la restauration des archives ainsi que des structures artistiques, l’intégration de la culture dans les stratégies de développement économique… Le souhait des artistes serait de voir enfin une révolution plus significative du secteur afin qu'ils soient davantage en mesure de vivre de leur métier mais surtout que le secteur contribue au développement financier et touristique du pays.

Merveille Jessica Atipo

Légendes et crédits photo : 

1-Des archives du mythique orchestre congolais Les Bantous de la capitale en plein show musical/DR 2- Une photo prise lors d'une tournée du Rocado zulu théâtre dirigé par Sony Labou Tansi, avec la pièce Kimpa Vita/DR 3- Un artiste sur scène lors d'une précédente édition du festival d'humour Tuseo/DR 4- Une vue de la salle lors de la projection du film "Nouvelle vie" de Richi Mbebele/DR 5- Capture d'écran du site web de l'école de peinture de Poto-Poto/DR

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