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Calixthe Beyala : « Si la Francophonie va mal, c’est qu’on a voulu en faire un instrument politique »

Lundi 3 Mars 2014 - 1:00

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Calixthe BeyalaLes Dépêches de Brazzaville : Le thème du Forum mondial des francophones est « Femmes actrices du développement ». Qu’est-ce que cela vous évoque ?
Calixthe Beyala : Nous savons très bien que l’Afrique est un continent matriarcal. Si vous remontez dans le temps, les plus grandes résistances contre la colonisation notamment ont été menées par des femmes, que l’on pense à Souraya du Tchad qui a mis les Français en échec, ou bien encore à Kimpa Vita, la seule femme brûlée vive par les Portugais. Quand on regarde l’histoire des peuples d’Afrique, ce sont des femmes qui ont fondé les royaumes. On a nié tout le travail de libération fait par les femmes en Afrique du Sud. Qui parle par exemple de Dulcie September assassinée en région parisienne ? Et que fait-on de Winnie Mandela ? C’est elle qui s’est battue en réalité, si elle n’avait pas été là ce combat n’aurait jamais abouti et on veut la renvoyer au simple rang de criminelle alors que la vraie héroïne c’est elle. Il y a une volonté de gommer le rôle de la femme, spécifique à l’homme africain qui est dommageable pour lui-même, car ainsi que le veut la tradition si l’on est roi et que l’on n’a pas de reine, on ne peut pas monter sur le trône. Alors que signifie de parler des femmes actrices du développement ? Les femmes sont les principales actrices de la survie du continent. Sans elles, ce continent se serait écroulé depuis des lustres. Je me souviens dans les années 1990, lorsqu’il y a eu les « réajustements structurels », les hommes qui étaient habitués à être fonctionnaires, abattus, partaient en déliquescence absolue et ce sont les femmes qui ont retroussé leurs manches et se sont mises au travail pour nourrir les familles, continuer d’envoyer les enfants à l’école. Si l’on analyse l’économie réelle de l’Afrique, ce sont les femmes qui la portent, l’éducation des enfants ce sont elles. Je pense que moi et mes sœurs sommes au-devant de la scène et que c’est réellement nous qui portons le continent.

LDB : Comment traiter d’un front commun la question des femmes francophones alors qu’elles vivent des réalités si diverses ?
Les femmes sont exclues au Québec, en France et en Afrique, mais les formes d’exclusion ne sont pas les mêmes. On peut faire front commun au niveau social pour avoir les mêmes salaires que les hommes, être autant respectées, avoir les mêmes possibilités d’accession au pouvoir, mais ce ne sont pas les mêmes sociétés. Les femmes occidentales se sont battues dans des sociétés industrialisées, nous venons de cellules familiales villageoises. Il ne faut pas disloquer la famille africaine au profit de la famille nucléaire occidentale. Nous avons des systèmes de soutien dans nos sociétés que l’on ne va pas mettre en défaillance pour imiter la liberté occidentale. Il y a des spécificités qu’il faut garder, par exemple nos valeurs d’accueil, de partage, etc.

LDB : L’OIF va bientôt renouveler son secrétaire général. Qui voyez-vous à la tête de l’institution ?
Moi ! Je suis la candidate qu’il faut. Si la Francophonie va si mal, c’est qu’on a voulu en faire un instrument politique, un instrument de pouvoir au lieu d’en faire un instrument de culture, de réunification des peuples et de fraternité. Au lieu d’en faire un instrument populaire, on en a fait quelque chose destiné à une élite. J’avais fait à l’époque la proposition d’une Francophonie populaire qui avait été adoptée notamment par Jacques Chirac. Il faut faire exister la Francophonie afin qu’elle puisse servir de levier pour fédérer les femmes francophones et leur permettre d’aborder ensemble leurs problèmes. Plus unies, nous serons plus fortes et nous pourrons plus facilement faire respecter nos droits, car dans les documents de tous les pays l’égalité de droits est reconnue. L’OIF pourrait veiller à une meilleure éducation des jeunes filles pas seulement de l’alphabétisation, mais en matière de formation. En effet, il faut cesser de penser que les filles seront toutes de bonnes ménagères ou de bonnes littéraires, elles peuvent être aussi mathématiciennes, de bonnes inventrices. Il s’agit d’utiliser tout le potentiel féminin pour développer le monde francophone. J’entends par développement le bien-être de l’humanité avec l’homme au centre. Car aujourd’hui on a mis l’argent et l’économie au centre. On a fait de l’homme un esclave de l’économie alors que c’est l’économie qui doit être au service de l’homme.

LDB : Quelle est votre réaction à l’élection de Catherine Samba-Panza à la tête de la Centrafrique ?
J’espère qu’une femme, avec cette capacité que nous avons, va réussir à calmer les passions dans ce pays chaotique et éteindre les feux. Je pense qu’elle va réussir à fédérer ce pays qui a besoin de panser ses blessures, à faire revivre ensemble comme cela se passait jusqu’alors musulmans et chrétiens malgré ce qui s’est passé. Même si cela est difficile. La Centrafrique est le ventre mou de la Cémac par lequel peuvent venir toutes sortes de fléaux. C’est un pays extrêmement vaste, peu peuplé, avec des frontières totalement poreuses. Aura-t-elle l’autorité nécessaire pour porter cela et colmater les brèches ? Elle est présidente de la transition, mais quel pouvoir réel aura-t-elle ? J’espère que sa transition va durer le plus longtemps possible, car si elle est présidente de transition, cela signifie que l’on ne va pas la laisser se représenter.

LDB : Vous vous êtes beaucoup investie dans l’éducation des filles et des femmes. Quel rôle les organisations internationales peuvent-elles jouer pour leur autonomisation et les aider à sortir de l’informel ?
Je n’ai jamais cru qu’il faille copier sur l’extérieur pour s’en sortir. Il faut d’abord faire l’éducation de nos garçons et apprendre aux hommes à laisser la priorité à leurs femmes. Je suis convaincue que l’Afrique ne se développera que quand les femmes africaines se déploieront. En tant que femmes, nous avons plus que les hommes le souci de la gestion de la chose publique et du bien commun, du bien-être collectif. Les femmes doivent aller de l’avant et prendre le pouvoir pour faire avancer l’Afrique. Je me méfie du terme de pays émergent, car il signifie que nous étions dans les ténèbres ou que nous n’avons jamais existé, et devenir un pays développé dans le sens occidental n’est pas une solution pour nous.

LDB : Vous manifestez un fort attachement aux traditions africaines tout en étant une femme résolument moderne. Comment faire cohabiter femme, modernité et traditions ?Pour moi c’est assez naturel, je suis arrivée très jeune en Occident. Mais j’avais auparavant reçu de ma grand-mère, née à la fin du xviiie siècle, avec qui j’ai vécu, la culture africaine. À ses côtés, j’ai vite compris que nous avions de très belles choses. Je ne prends pas tout de ce que l’on me propose ailleurs : il y a des valeurs cardinales africaines que je tiens à garder absolument, dans l’éducation des enfants, dans la façon d’être avec l’autre, par exemple chez moi pas besoin de prendre un rendez-vous pour rentrer, la maison est ouverte, comme on l’a toujours fait en Afrique. Je refuse l’individualisme forcené qui amène d’ailleurs la dislocation des sociétés occidentales. L’Afrique ferait mieux de ne pas tout prendre, car il y a des nourritures qu’il faut savoir ne pas porter à sa bouche et des libertés à ne pas acquérir. Il y a la pilule, mais je préfère éduquer ma fille à quel type de sexualité elle pourra avoir et savoir attendre le bon âge et le bon cadre. Je considère que j’ai un devoir d’éducation vis-à-vis de mes enfants, pas un devoir d’amitié. Toutes ces valeurs qui se brouillent en Occident, l’Afrique les a gardées.
Bien sûr il y a des aspects aliénants pour les femmes dans notre culture : la polygamie qui n’a pas son pendant féminin, l’excision ou la répartition inégalitaire des rôles homme-femme au sein du foyer. Mais il y a plein de choses sur lesquelles nous étions en avance sur les sociétés occidentales et que nous avons abandonnées, car accusés de sorcellerie. Par exemple, les praticiens africains faisaient des opérations au cerveau pour enlever les tumeurs sans endormir les patients bien avant les Occidentaux, et les patients ne mourraient pas. Je voudrais consacrer la dernière partie de ma vie à récupérer tout ce savoir afin qu’il ne se perde jamais.

 

Calixthe Beyala est née au Cameroun. Elle suit une scolarité remarquable et quitte Douala à l’âge de dix-sept ans pour la France. Elle y passe son bac pour ensuite effectuer des études de lettres tout en développant un attrait pour l’écriture. Avec plus d’une vingtaine d’ouvrages à son actif, Calixthe Beyala se fait ambassadrice de la littérature africaine francophone à l’étranger. Décorée et distinguée, elle a reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française en 1996 pour son livre Les Honneurs perdus.

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

Calixthe Beyala, écrivain ©DR