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Marie-Léontine Tsibinda : une femme écrivain et libre

Lundi 3 Mars 2014 - 1:00

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Marie-Léontine Tsibinda BilomboLes Dépêches de Brazzaville : Dire que vous êtes écrivain vous définit-il ?
Marie-Léontine Tsibinda : Écrivain, oui, mais qui ne veut pas se laisser enfermer dans un carcan. L’art d’écrire est un art infiniment subtil, fugace. Il vous donne un instant insaisissable à matérialiser par des mots, des images ou des métaphores. Ces mots font de vous un écrivain unique, comparable à aucun autre, même si l’imaginaire demeure la source commune de la création littéraire. Et l’imagination ne s’achète pas comme une chemise taillée sur mesures. Le véritable écrivain reste libre dans son laboratoire créatif.

LDB : Vous vivez au Canada. Est-il plus juste de parler d’exil ou d’immigration dans votre cas ?
L’exil et l’immigration ont un point commun. Ils donnent une nouvelle terre d’espérance, d’autres opportunités à saisir. Des rencontres et des amitiés nouvelles. Et cela me fait penser aux beaux vers de Lamartine dans son poème Milly ou la terre natale. Dans la vie, il y a toujours des fourches où stopper avant de reprendre la route vers de nouveaux horizons.

LDB : Est-il facile lorsqu’on a quitté l’Afrique de la faire résonner dans ses écrits, de raconter l’Afrique, de toucher les femmes africaines ?
Les femmes en Afrique ou ailleurs dans le monde ont des problèmes communs, c’est comme faire des gammes au piano avec divers degrés, diverses nuances. Un livre publié est comme une gamme jouée au piano : elle résonne dans le monde, et le monde l’apprécie ou pas. Si dans un livre je parle des violences au foyer, des peines de cœur, des guerres, est-ce que cela existe seulement en Afrique ? Partout il y a des guerres, visibles et invisibles. L’homme est un tout universel : il a un esprit, une âme et un corps. C’est quand l’esprit domine l’âme et le corps que tout s’équilibre. Autrement, rien ne va. Raconter ne peut pas se limiter à toucher l’Afrique, nous sommes un monde qui a besoin des uns, des autres. Je peux parler de l’Afrique et toucher un cœur d’Amérique. L’interface du Net le prouve : un problème personnel, un regard universel.

LDB : En tant que femme de lettres, estimez-vous être une femme de pouvoir ?
Femme, oui. Pouvoir pour pouvoir, non. Ce que je cherche en tant que femme de lettres, c’est de partager ce que j’ai avec les autres. Car même la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ! Donner de l’espoir, donner du courage, de l’amitié, de la joie… Que la femme donne le meilleur d’elle-même pour bâtir sa maison ! Tout commence à la maison, les enfants étant les bâtisseurs du futur. Un enfant bien éduqué saura respecter ce qui est à autrui. Une femme qui sait qu’elle a le devoir de réussir ce qu’elle fait au foyer ou au bureau, sur les planches ou à l’écran, est une femme solide intérieurement. Elle saura inculquer à ses enfants des valeurs sûres qui ne se basent pas seulement sur l’aspect extérieur des choses, mais sur les vraies valeurs de la vie, comme le respect et l’amour, le divin qui nous appelle à aimer sans compromission. Qu’importe la place qu’elle occupe, une femme n’est femme que quand elle sait marcher avec dignité et intégrité. Alors là, on peut parler de femme de pouvoir.

LDB : Selon vous, le développement de l’Afrique passe-t-il par le développement de la culture ?
Le développement de l’Afrique est une question qui demeure réelle. Après les cinquante ans des indépendances, nous avons l’impression que l’Afrique est en arrêt sur image culturellement, socialement, politiquement. Ce n’est pas le cas. Au cœur de la tourmente des places financières, l’Afrique tient la route, elle avance à son rythme, pays par pays. Mais si les Africains mettent ensemble leurs efforts et voient ensemble les problèmes qui minent leurs économies et se mettent à attaquer le mal à la racine, l’Afrique ne sera plus un colosse aux pieds d’argile. Elle a toutes les potentialités. Aujourd’hui, malgré les guerres, les pillages économiques, les fuites de capitaux et autres, elle tient debout. Le développement ne peut plus être uniquement économique. Une redynamisation de son patrimoine culturel est capitale. Elle est une source immense de revenus. Et c’est possible.

LDB : Un mot sur votre actualité ?
Outre des publications collectives dans des anthologies bilingues ou françaises en poésie et en prose (A Rain of Words, Translation, Du Congo au Danube, Monsieur Mandela en poésie, et en prose The Quilt of Belonging), j’ai publié du théâtre, une pièce collective, La Grande Brassée, avec le soutien de la Ville de Gatineau (Québec). Le Sanglier de Tsirhi est un conte que l’on retrouve sur Amazon.com en attendant l’édition papier. En septembre 2013, La Porcelaine de Chine a été publiée aux Éditions L’Interligne à Ottawa. C’est une pièce qui raconte l’histoire de trois vies ayant volé en éclats à cause de la guerre. Des vies qui cherchent à se reconstruire malgré la plaie vive et béante que laissent les séquelles de la guerre. J’ai une pièce de théâtre en préparation. Cela est une tout autre histoire.

 

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo, est née à Girard au Congo, dans le Kouilou. Diplômée de Lettres et en Littératures et Civilisations Américaines, Marie-Léontine Tsibinda est l’épouse du poète Bilombo-Samba. La guerre civile qui ravage le Congo la contraint à prendre le chemin de l'exil en 1999. Réfugiée d'abord à Niamey puis à Cotonou et elle s’installe finalement au Canada. Elle a reçu le Prix National de Poésie en 1981 et le Prix Unesco-Aschberg pour sa nouvelle Les pagnes mouillés en 1996. 

Propos recueillis par Armelle Myab

Légendes et crédits photo : 

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo, écrivain ©DR