Christophe Meko : « Ce n’est pas un honneur de pouvoir le faire. C’est plutôt notre façon de pleurer »

Samedi 7 Mai 2016 - 11:05

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La superbe chapelle ardente sous laquelle reposait la dépouille mortelle de Papa Wemba exposée du 2 au 4 mai dans le hall central du Palais du Peuple a été conçue et réalisée par les soins de Christophe Meko Disengomoka. L’artiste qui est à la fois sculpteur monumentaliste, plasticien et designer, pratique l’art depuis 25 ans. Dans cette interview exclusive accordée aux Dépêches de Brazzaville il évoque les coulisses de la réalisation de cet ouvrage construit en un temps record parce qu’il s’est interdit de faire le deuil de son « aîné ».

 

Les Dépêches de Brazzaville : La chapelle ardente de Papa Wemba est une œuvre d’art à part entière. Comment pourrait-on la décrypter  ?

Christophe Meko : Du point de vue approche physionomique d’abord, l’œuvre est composée de deux portiques assez monumentaux de six mètres voilés des draperies blancs, couleur immaculée. Au centre des portiques est suspendue, de manière très délicate un chapeau rouge. Il est inspiré de la dernière tenue de scène de Papa Wemba élevé à plus ou moins quatre mètres du sol. Il est soutenu visuellement par un trompe l’œil fait de draperies. Et au fond, en dessous du chapeau, il y a cette sorte de catafalque inspirée du logo de l’artiste réalisé en volume pour recueillir le cercueil. Au fond de la scénographie de cette décoration, tout au fond, trône la mascotte de Papa Wemba qui a toujours accompagné le musicien, l’artiste, la star lors de ses grandes prestations. Il l’a inaugurée lui-même à l’époque au concert du Festival Fula Ngenge en 2006 au stade des Martyrs. C’est une mascotte automate réalisée par l’artiste Meko et le bureau d’études Meko International. La particularité de la mascotte c’est qu’elle danse en bougeant la tête grâce au concours de l’ingénieur William Meko qui est aussi un expert du Bureau d’études Meko International. Alors, toute cette symbolique renvoie à la thématique musique et mode. Nous avons de la sorte répondu à la volonté parfaite de la personnalité de l’artiste qui aimait le spectacle. Nous nous sommes dits que c’était ce qu’il convenait de faire pour pleurer une si grande personnalité qui est à la fois une de nos stars et un voisin, parce que nous avons habité dans son avenue, celle de la résidence qu’il a habité jusqu’à sa mort depuis plus de 20 ans.

L.D.B. : Combien de temps vous a-t-il fallu pour la réalisation de l’œuvre  ?

C.M.  :. Le temps que l’on a pris exceptionnellement est quarante-huit heures. Le temps de la conception et achat de matériaux y compris. L’achat des matériaux a duré toute la matinée de samedi jusqu’aux alentours de 17 heures. Donc, nous avons commencé à travailler vers 18 heures. Nous avons œuvré de samedi 18 heures à lundi six heures non stop. Évidemment nous avons eu besoin de plusieurs corps de métiers, des gens qui maîtrisent le travail. Nous avons fait appel à des amis qui ont de bons réflexes, entre autres, le designer Jean-Alain Masela et Bob Kanku. Nous avions besoin d’esprits éveillés pour accompagner ce travail.

 

L.D.B. : Combien d’ouvriers a-t-il fallu pour cette réalisation monumentale  ?

C.M.  :. Nous n’avons pas compté, mais je crois que nous étions une vingtaine à coordonner. Chacun gérait différents corps de métiers. Il y avait là garnisseurs, soudeurs, ajusteurs, tailleurs, électriciens, menuisiers et des monteurs de la structure métallique ainsi que des ingénieurs et des artistes que nous sommes. La mascotte et les couleurs ont tourné autour du blanc inspiré même de l’habit porté par Papa Wemba. Nous avons fourni l’effort de rhabiller la mascotte à la manière de sa dernière tenue de scène. Nous y avons ajouté des CD qui rappelaient la discographie de l’artiste. Le tout, dans un balai de lumière chromatique.

L.D.B. : Quels sont les matériaux essentiels qui ont servi à l’ouvrage en dehors des tissus  ?

C.M.  :. La structure métallique était en tube d’un demi-pouce que l’on appelle échafaudage. Il y avait le bois, pour soutenir la prise de tissu et de la colle. Tout ce qui est comme acier, les fers plats, le fer à béton ; les treillis, de la mousse synthétique pour donner de la forme au tissu. Le plâtre pour la mascotte et des structures en bois pour le catafalque. De manière générale, les tissus qui étaient en vue. Une petite anecdote, le gérant du seul magasin qui était ouvert le jour férié, parce que samedi était un jour férié, nous a dit que Papa Wemba était passé par là trois semaines plus tôt parce qu’il avait été choisi comme parrain. On a vu le film. Il avait été aménagé comme scène de défilé. Simple coïncidence ou fait prémonitoire ? Je crois que les grands esprits sont assez complexes, parce que la centaine de magasins qu’il y a en ville, que l’on tombe juste sur celui-là, cela nous dépasse. L’art est vrai, l’art est bon, l’art est beau.

L.D.B. : Qu’est-ce qui a été le plus dur à réaliser en un temps aussi record que 48 heures  ?

C.M.  :. Le plus dur à réaliser n’était pas en termes matériel mais plutôt en termes spirituel, on va dire. Parce que, dans l’entretemps, nous n’avons pas eu le temps de faire le deuil, pleurer un aîné, un membre de la famille que nous avons beaucoup aimé. Nous n’avons pas pu le faire. Entre le faire et répondre à l’appel de l’État, parce que c’était une responsabilité d’État, avec tout ce que cela comporte comme engagement, ça passe ou ça casse. Et puis, la pression du public. Le plus dur c’était cela. C’était d’être à la hauteur et terminer. Je crois que nous l’avons fait avec le cœur comme nous l’avons fait pour la réalisation de son mariage.

L.D.B. : Avez-vous eu à faire face à certaines contraintes et restrictions, du fait que le Palais du peuple est le siège du Parlement ?

C.M.  :. Pour ce qui est des contraintes, il faut noter que nous sommes un peu habitués parce que ce sont  les deuxièmes grandes funérailles dont nous avons accompagné la scénographie. Les premières étaient celles de M’Zee. Les réflexes nous les avons après avoir travaillé avec la présidence de la République et l’hôtel de Ville. Nous connaissons un peu les us et coutumes et la pression des services tout autour. Il y a plusieurs services, du monde mais on ne peut que bien faire parce que c’est quand même une responsabilité d’État. Il faut le comprendre et avoir des nerfs solides pour pouvoir répondre à la demande du client.

L.D.B. : Avez-vous eu un retour des réactions du public venu aux funérailles  ?

C.M.  : Je suppose que c’est positif. Nous avons eu les félicitations du chef de l’État par le point de contact qui était avec nous. Le président du comité d’organisation des funérailles, le gouverneur Kimbuta était très satisfait ainsi que le ministre Banza Mukalay, la directrice de cabinet et le ministre provincial Ruffin Bayambudila. Tous l’étaient à commencer d’abord par le maître d’ouvrage. Et, à ce qu’il paraît, dans les reportages, on a senti la joie des Kinois qui ont vu que la personne de Papa Wemba a été honorée. Mais, à votre niveau vous êtes mieux placés pour avoir les échos du public car nous ne pouvons pas être juge et partie.

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Christophe Meko entrain de réaliser la tête de la mascotte de Papa Wemba Photo 2 : La mascotte trônant au fond de la chapelle ardente Photo 3 : La chapelle ardente en pleine réalisation Photo 4 : La chapelle ardente prête à accueillir la dépouille mortelle

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