Film documentaire : "L’homme qui répare les femmes, la colère d’Hippocrate"

Samedi 11 Avril 2015 - 9:00

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Dans le cadre des « Rendez-vous de l’OIF », l’organisation francophone a organisé, le 31 mars, une projection privée du documentaire consacré par le réalisateur Thierry Michel et la journaliste Colette Braeckman au Docteur Denis Mukwege. «L’homme qui répare les femmes, la colère d’Hippocrate » est un documentaire poignant qui raconte l’horreur vécue à l’est de la RDC et le combat du Dr Mukwege en faveur des femmes victimes de violences sexuelles.

Le Dr Denis Mukwege se forme d’abord à la pédiatrie mais devant les besoins énormes en gynécologie-obstétrique dans sa province du Sud-Kivu, il décide de se former à cette spécialité à Angers en France. De retour en RDC à la fin des années 80, il partage son temps entre l’hôpital de Lemera dans lequel il est affecté et sa famille installée à Bukavu. Il doit parcourir à pied, toutes les deux semaines, les 30 kilomètres qui séparent l’hôpital de son domicile, les véhicules 4X4 étant réservés aux médecins occidentaux. Après le génocide rwandais de 1994, l’horreur de la guerre surgit dans ce coin terrestre paradisiaque. Les miliciens hutus génocidaires se réfugient en RDC pour échapper à la justice des hommes, entraînant dans leur sillage des millions de civils rwandais utilisés comme boucliers humains. Suivent la chute du régime Mobutu, le délitement du vaste Congo et l’effondrement de ses institutions. Les groupes rebelles rwandais, congolais, ougandais qui prennent le contrôle du Kivu transforment ce vaste territoire en Western des temps modernes sans foi ni loi.

La beauté des montagnes et le calme serein du lac Kivu contrastent avec les corps mutilés à la machette, les viols pratiqués à grande échelle, les femmes réduites à l’esclavage sexuel pour le confort des « Seigneurs de la guerre » qui s’enrichissent en pillant les sous-sols de ce pays richissime, qualifié de « scandale géologique ». Le coltan dont 80% des réserves mondiales se trouvent en RDC, mais aussi la cassitérite, minerai nécessaire à la production d'étain qui s’échange entre 65000 et 48 000 dollars la tonne, tous deux essentiels aux industries de la téléphonie mobile ou de l’informatique, ou encore l’or dont un lingot vaut 1 million de dollars, attisent les convoitises de tous. Ainsi que l’explique le Dr Mukwege : la RDC est devenue une vaste bijouterie sans portes, ni fenêtres, livrée à la loi du plus fort.

« Pour devenir Général, il faut avoir tué mille personnes »

Au milieu de cet univers brutal, les femmes. Victimes de viols de masse, utilisés comme arme de guerre. Des femmes de tous âges des plus vénérables nonagénaires aux nourrissons âgées de 2 mois, violées devant leurs maris et leurs enfants, violées sous la contrainte des hommes en uniforme par leurs propres fils, les organes génitaux mutilés avec des armes ou tout autre objet qui peut tomber sous la main de leurs bourreaux, violées par pure soif de destruction ou dans le but de retirer des « bienfaits » mystiques dispensés par les féticheurs de la région. Depuis la fin des années 1990, le diable semble avoir élu domicile au Kivu. À la faveur des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration, les frontières se brouillent entre les « bons » et les « méchants » puisque les anciens « Seigneur de la guerre », avec leurs curriculums vitae de la barbarie deviennent soldats de l’armée régulière ou  agents de la police, censés protéger les mêmes populations qui hier encore subissaient leurs exactions. Lors d’une réunion publique filmée par Thierry Michel, un habitant excédé explique qu’aujourd’hui « pour devenir Général, il faut avoir tué mille personnes » et que « pour cent dollars on peut échapper aisément à toute plainte en justice ».

Dans ce quotidien qui s’est mué en cauchemar éveillé, un homme s’est levé pour les femmes qui en ont fait leur « Messie ». Le Dr Denis Mukwege crée en 1996 un hôpital à Panzi où il opère les femmes et répare leurs corps détruits par les viols. Il offre également avec ses équipes un accompagnement juridique, afin que les victimes de viol puissent avoir accès à la justice et une chance de voir condamnés les auteurs de ces crimes. Avec cet accompagnement, lui et ses équipes ont redonné leur dignité et leur espoir à des dizaines de milliers de femmes. Lorsque menacé pour sa vie, le Dr Mukwege a du fuir la RDC pour se réfugier en Europe, se sont elles, les femmes du Sud-Kivu qui se sont levées pour financer son billet de retour avec le fruit de la vente de leurs ananas ou de leurs vanneries.  Porté par l’affection de ces femmes, le Dr Mukwege a finalement choisi de retourner à Panzi. Les images de l’accueil phénoménal qui lui est réservé lors de son retour dans les collines sont poignantes : des milliers d’entre elles s’étaient déplacées de toute la province pour accueillir « leur » docteur.

Les Prix du courage et du sacrifice

Depuis le Dr Mukwege continue de soigner des femmes par milliers. Sous la caméra de Thierry Michel, il confie qu’il voit dans chaque femme âgée qui arrive dans son hôpital, sa propre mère, dans chaque maman, son épouse, et dans chaque fillette, ses propres enfants. Il s’est fait l’avocat infatigable des femmes du Sud-Kivu sillonnant le monde pour témoigner l’indicible horreur de ce qui se passe depuis 20 ans dans cette région du monde à l’ONU, au Congrès américain, au Parlement européen. Son combat lui a valu de nombreux Prix dont en 2014, le Prix Sakharov, son nom a été murmuré pour le Prix Nobel. Mais en attendant que l’humanité se lève pour dire « basta ! », pour reprendre le cri du cœur de l’actuel gouverneur du Sud-Kivu Marcellin Chishambo dans ce documentaire, et prenne les mesures nécessaires pour mettre fin à l’horreur, les enfants nées du viol, de femmes qu’il a eu à opérer il y a quelques années, commencent à arriver dans son centre, victimes de viol à leur tour. 

Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

L'affiche du film documentaire de Thierry Michel et Colette Braeckman "L’homme qui répare les femmes, la colère d’Hippocrate" ©DR