Inscription de la rumba congolaise au patrimoine de l'humanité. Pr Joachim Emmanuel Goma-Thethet : « J’ai la foi en l'aboutissement de notre dossier »

Jeudi 16 Septembre 2021 - 18:04

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Dans le cadre de la campagne d’information et de sensibilisation sur l’inscription de la rumba congolaise au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, la République du Congo (RC) et la République démocratique du Congo (RDC) sont à pied d’œuvre pour l’aboutissement de ce projet auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Pour un aperçu de l’avancement du dossier, Les Dépêches de Brazzaville se sont entretenues avec le Pr Joachim Emmanuel Goma-Thethet, président national du comité scientifique dudit projet pour la RC.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Les deux Congo œuvrent pour inscrire la rumba au patrimoine immatériel de l’Unesco. Quelles sont les motivations ?

Joachim Emmanuel Goma-Thethet (J.E.G.T.) : La candidature conjointe pour l’inscription de la rumba congolaise sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité découle de la volonté des deux chefs d’État, celui de la RC, Denis Sassou N’Guesso, et de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi-Tshilombo. Le nôtre particulièrement a donné des instructions précises au ministre de la Culture et des Arts. Il est revenu sur cette question à plusieurs reprises chaque fois qu’il a rencontré un certain nombre de délégations. C’est le cas avec une délégation belge qu’il avait reçue l’an dernier, sans oublier les délégations de l’Unesco, notamment la directrice générale qui est venue ici à Brazzaville et qu’il a rencontré déjà à Paris.

L.D.B. : Pourquoi l’inscription de la rumba congolaise ?

J.E.G.T. : Le constat a été fait que la rumba est un des éléments d’identification des deux Congo à l’extérieur. Quand on parle de la rumba, tout de suite on parle des deux Congo. Il y a eu, au niveau du ministère de la Culture, un inventaire des éléments susceptibles d’être inscrits sur cette liste et parmi ces éléments figuraient en lieu et place la rumba. Pour qu’on fasse cette candidature, il fallait que l’un des pays ait déjà inventorié cet élément comme étant important de son patrimoine. C’est ce qui a été fait par le Congo. Le président de la République, Denis Sassou N’Guesso, a automatiquement demandé au ministère de la Culture et des Arts de s’en occuper. Mais l’Unesco avait estimé que cet élément étant commun aux deux Congo, il était plus utile que ce soit une candidature conjointe.

L.D.B. : En quoi consiste le travail de la commission que vous présidez ? 

J.E.G.T. : Au niveau de l’Unesco, la mise en place de cette liste représentative doit être assurée par un comité intergouvernemental qui s’occupe des éléments susceptibles d’être inscrits. Au niveau de chaque pays, il y a une structure qui est un peu le répondant de ce comité intergouvernemental. Et chez nous, cette structure s’appelle comité scientifique pour l’inscription de la rumba sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Il existe depuis deux ans et a été mis en place en décembre 2019. De par sa composition, il regroupe des experts venant de divers horizons qui sont liés à la culture. Ce sont des experts dans les domaines des sciences humaines, des sciences sociales, du droit, des arts et de la musique. Les missions de cette institution qui est liée au ministère de la Culture, sont de collecter, de traiter et de diffuser toutes les informations susceptibles d’accompagner la candidature pour l’inscription de la rumba. C’est donc cette structure qui recense toutes les informations qui sont mises à la disposition du gouvernement. C’est aussi cette structure qui identifie les experts sur la question. Parce que dans le cadre de cette inscription, il y a, par exemple, la nomination des ambassadeurs. Cela ne peut découler que du comité scientifique. C’est ce comité qui, au regard des activités qui ont été menées par un certain nombre des personnalités dans le monde et en rapport avec la rumba, peut décider de faire le choix de proposer comme ambassadeur de la rumba telle ou telle personnalité. C’est aussi la structure qui fait le suivi pour le compte du gouvernement de tout ce qui est lié à cette inscription.

L.D.B. : Où en êtes-vous dans le processus de la mise en œuvre des démarches pour cette inscription ?

J.E.G.T. : En deux ans, on a fait un certain nombre de choses. Juste après la mise en place de ce comité, il a fallu commencer par faire des inventaires. Parce que dans le processus, on demande qu’il y ait un inventaire qui soit fait par le pays qui concerne les communautés de base, donc des artistes, des chansons, … Cet inventaire a été fait. Après, il a fallu mettre en place un comité conjoint qui regroupait les deux Congo. Ce comité conjoint a été mis en place avec le concours de l’Unesco qui nous a accompagné pendant la période de formation. Il fallait former, parce que le patrimoine culturel immatériel c’est un domaine tout à fait particulier qui exige un certain nombre de connaissance et souvent les experts ne sont pas très nombreux. Il y a eu d’abord une formation pour certains experts qui s’est tenue à Kinshasa. Ceux-ci ont commencé à regrouper les éléments qui devaient permettre de déposer cette candidature. De part et d’autre, nous avons travaillé et rassemblé toutes les informations nécessaires pour le dépôt de cette candidature. Nous nous sommes retrouvés à Kinshasa, en 2020, pour élaborer le dossier commun. Et c’est ce dossier qui a été déposé à l’Unesco, le 26 février 2020. Il y a donc eu un certain nombre d’opérations qui ont été faites avant le dépôt et au lendemain du dépôt.

L.D.B. : Qu’aviez-vous fait au lendemain du dépôt du dossier ?

J.E.G.T. : Nous avions eu à travailler pour l’élaboration de ce que nous avons appelé le document de stratégie relatif à la sauvegarde et à la promotion de la rumba congolaise. Ce document, nous l’avions élaboré pendant la période du premier confinement. Nous avions fini par l'adopter et l'avions envoyé à l’Unesco. C'est la feuille de route des deux comités nationaux jusqu’en 2025. Parce que l’inscription se fera cette année-ci, mais après il y a un certain nombre d’activités qui doivent être menées. Nous avions fait une programmation à court terme jusqu’en 2025 et toutes ces informations sont contenues dans ce document. Après l’adoption du document de stratégie, il a fallu faire le plaidoyer aussi bien auprès des institutions républicaines dans chaque pays, le plaidoyer auprès de certaines institutions sous-régionales, le plaidoyer auprès de la communauté internationale, la France, la Belgique, les Etats-Unis, les pays latino-américains (où il y a une forte communauté d’Afro descendants intéressés par cet élément) comme le Cuba (dont la rumba a été inscrite en 2016), le Venezuela, le Pérou, ... Nous sommes donc dans cette phase que nous appelons campagne d’information, de sensibilisation et de mobilisation, lancée le 20 juillet dernier à la mairie centrale de Brazzaville, par le ministre de la Culture et des Arts, Dieudonné Moyongo.

L.D.B. : Cette campagne d’information et de mobilisation est-elle bien menée ?

J.E.G.T.) : Malheureusement non ! Puisqu’il y a des choses qui devraient être faites mais que nous n’avions pas pu faire parce qu’il manque des moyens financiers. Par exemple, nos collègues de Kinshasa avaient organisé un atelier qui nous a permis d’adopter les documents qui ont été envoyés pour le dépôt de candidature. Et nous devions organiser un colloque scientifique qui ferait le point sur les aspects liés à l’origine, à l’évolution, aux mutations de la rumba avec les nouvelles donnes technologiques, etc. Nous avions lancé un argumentaire et avions reçu des écrits qui sont venus de partout dans le monde, malheureusement nous n’avions pas pu pour l’instant tenir ce colloque faute des moyens financiers. Mais nous pensons que nous pourrons le faire avant décembre. Nous avons encore l’espoir. Il y a aussi des activités qui doivent être déployées au niveau de l’Unesco par notre ambassadeur auprès de cette institution, Henri Ossebi. Là aussi, beaucoup de choses n’ont pas pu être faites. Lui aussi doit faire un plaidoyer auprès de ses collègues ambassadeurs à l’Unesco.

L.D.B. : Quel bénéfice les deux Congo pourraient-ils tirer dans le cadre de l’aboutissement de ce projet ?

J.E.G.T. : Inscrire la rumba sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’Unesco va de la notoriété des deux pays et d’une grande notoriété sur le plan diplomatique. En dehors du fait que Brazzaville et Kinshasa soient désignées comme villes créatives de l’Unesco, les deux Congo pourront devenir des destinations touristiques à travers des festivals organisés conjointement. Aussi, l’aboutissement de ce projet permettra aux artistes d’avoir une visibilité et une viabilité plus importantes; un accès plus facile aux financements pour réaliser des projets; un accompagnement sur le plan juridique et à la formation. Dans le domaine de l’éducation, la rumba pourra être insérée dans les programmes scolaires et dans le secteur économique, faire des artistes des faiseurs d’opinion, par exemple en matière d’environnement, en vue de sensibiliser la population. La rumba pourra, en outre, contribuer à la recherche à travers des colloques, séminaires de formation qui permettront aux Congolais et à d’autres peuples de connaître véritablement ce patrimoine et se l’approprier.

L.D.B. : Obtenir l’inscription de la rumba au patrimoine immatériel de l’Unesco n’est pas une fin en soi. Brazzaville et Kinshasa vont-ils tenir leurs engagements en lien avec la concrétisation de ce projet ? 

J.E.G.T. : J’ai la foi que notre dossier d’inscription de la rumba au patrimoine culturel immatériel de l’humanité aboutira et c’est vrai que le plus difficile à faire, c’est tout ce qui succède à l’inscription de la rumba au patrimoine immatériel de l’humanité. C’est un engagement et nous avons entre autres fonctions, d’emmener les artistes musiciens à vivre de façon descente de leur art. Un comité d’experts sera constitué à ce propos pour permettre aux artistes de fonctionner comme des entreprises. On œuvrera pour le respect véritable des droits d’auteurs, pour que chaque artiste jouisse du fruit de son travail, tel que ça se passe déjà dans plusieurs pays. Avec la technologie qui évolue, les artistes seront aussi emmenés à s’y adapter et à considérablement en profiter. Les musiciens des deux rives du Congo seront accompagnés et eux-mêmes aussi seront partie prenante à tout ce qui va se faire. Car, si nous ne respectons pas cet engagement, nous pourrons être biffés de la liste. Ce qui sera honteux et triste.

Propos recueillis par Bruno Okokana et Merveille Atipo

Légendes et crédits photo : 

Le Pr Joachim Emmanuel Goma-Thethet / Adiac

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