Interview. Ange Kayifa: « Le silence tue »

Jeudi 24 Novembre 2022 - 18:46

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Sur le continent africain, la question des violences à l’encontre des femmes et des filles représente un véritable fléau. Touchée par le sort des victimes de violences, Ange Kayifa, artiste explorant la performance, la photo, la vidéo et l'installation, a décidé de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes son cheval de bataille. A travers l’art, elle dénonce et condamne les abus que subissent les femmes au quotidien. Sa performance « Le corps se souvient » démontre que, dans la lutte contre ces violences, une action vaut mille mots. Entretien.

Les Dépêches du Bassin du Congo (L.D.B.C.) : Vous comptez livrer, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, une performance intitulée « Le corps se souvient ». D’où cette performance tire -t-elle son inspiration ? De quoi le corps se souvient-il ?

Ange Kayifa (A.K.) : L'inspiration de toutes mes créations, je la puise dans mon vécu et aussi de toutes les femmes dont le vécu inspire. De quoi se souviennent nos corps de femmes ? Dans cette création, je suis en binôme avec ma consœur artiste Pierre-Man's. A travers cette performance, nous évoquons les différentes souffrances post-traumatiques que peuvent endurer une femme ayant subi des violences. Souffrance physique ou psychologique. Nous parlons également de ce dualisme qui peut exister en nous dans ce mal-être. Cette œuvre est plutôt à vivre, à voir qu'à expliquer. C'est ainsi avec l'art de la performance.

L.D.B.C.: Au Congo, les statistiques sur les violences à l’égard des femmes et jeunes filles sont peu visibles. Est-il le cas au Cameroun ?

A.K. : Sur le continent, de manière générale, la question des statistiques, leur collecte et fiabilité demeurent de véritables préoccupations dont les balbutiements et incohérences sont fréquemment notées. Les statistiques sont, en effet, peu visibles mais des malheurs sont sans cesse enregistrés tous les jours que Dieu fait. Chaque jour, des femmes sont violentées, harcelées chez moi, chez toi, au bureau, dans les foyers, dans la rue, à l'école, etc. C'est un fléau anormal que certaines personnes de la société ont décidé de normaliser !

L.D.B.C.: Ce constat montre que celles qui subissent les violences les vivent en silence. D’après vous, quelle en est la raison ?

A.K. : Le silence d'une femme souffrante est le premier cri d'appel à l'aide qu'il faut savoir entendre. Celles qui subissent les violences les vivent en silence parce que la société demeure patriarcale et sourde. Il y a très souvent la peur de parler, de dénoncer, de ne pas se faire comprendre, la peur d'être jugée avant même d'être écoutée, le déni, les moqueries. Bref, autant d'éléments peuvent conduire une victime au silence. Nous ne devons jamais oublier qu'un combat demeure tant que nous sommes en vie. Il existe de moyens contemporains pour se faire entendre quand les recours classiques ne marchent pas, quand l'entourage proche ne vous entend pas ou ne vous croit pas. Toute vie humaine est importante. Le silence tue. Concernant la violence conjugale, jamais on est obligé de rester au nom de nos enfants ! Jamais !

L.D.B.C.: Pensez-vous que l’art ou les artistes peuvent changer la donne ?

 A.K. : Un artiste est là pour créer, éclairer, susciter des débats, déranger, inquiéter, remettre en question, fédérer, militer en utilisant tous les moyens à sa disposition. Toutes nos actions humaines positives ne sont pas des causes perdues. Étant une ancienne victime de viol, violence conjugale, violence psychologique et physique, aujourd'hui me relevant tout en demeurant vigilante, j'apporte du peu que je peux des conseils selon mon expérience personnelle. A travers les réseaux sociaux ou après mes performances, j'échange, j'aide ou conseille qui veut. La conscience mutuelle, le partage des savoirs sauvent.

L.D.B.C.: Quelle est votre perception de la parité ?

A.K. : L'égalité parfaite n'existe pas certes mais on est encore très loin de la parité espérée sur nos terres africaines. La ''conscience masculine'' continue à trop prendre de la place au détriment de la femme. L'on continue encore à noter le mépris sous plusieurs formes envers les femmes. Toute société humaine s'émancipe en considérant la femme comme unique et complémentaire. Une femme ne sert pas qu'à faire des bébés ou sa place n'est pas que dans une cuisine. Tout humain a des droits et des devoirs.

L.D.B.C.:Comment, selon vous, pourrions-nous construire une société plus inclusive ?

A.K :  Je vais m'aligner sur ce que Charles Gardou explique dans son ouvrage dédié à la société plus inclusive. C'est à méditer. Il cite cinq fondements sur lesquels une société inclusive peut s’édifier :

 _        Vivre sans exister est la plus cruelle des exclusions

–          Il n’y a ni vie minuscule, ni vie majuscule

–          Tout être humain est né pour l’équité et la liberté

–          L’exclusivité de la norme, ce n’est personne et la diversité, c’est tout le monde

–          Nul n’a l’exclusivité du patrimoine humain et social.

Propos recueillis par Durly Emilia Gankama

Légendes et crédits photo : 

Ange Kayifa/DR

Notification: 

Non