Interview. David-Pierre Fila : « La rumba congolaise a montré à quel point l’Afrique peut être inspirante »

Lundi 29 Mai 2023 - 16:26

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Enfant des indépendances, élevé au rythme de la rumba, le réalisateur David-Pierre Fila a rendu hommage à cet art de vivre dans son film « Sur les chemins de la rumba ». Un voyage dans le temps et dans le monde. Entretien.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : On imagine que le réalisateur du film « Sur les chemins de la rumba » est enchanté de voir la rumba consacrée à l’occasion du prochain Festival panafricain de musique (Fespam).

David-Pierre Fila (D.P.F.) : Evidemment. Le film « Sur les chemins de la rumba » a fait le tour du monde, il a été présenté à Cuba, à Porto Rico, au Japon, en Colombie, à New York, à Esmeraldas en Equateur. C’est important que la rumba, qui est reconnue dans le monde entier, soit entrée au patrimoine. Car plus qu’une danse et qu’une musique, la rumba est une façon d’être, une façon de vivre. Nous, qui sommes nés avant les indépendances, avons grandi avec des mélodies, des textes et surtout des grands groupes qui nous ont portés. Cette danse a conquis l’Afrique, puis le monde entier.

Des décennies plus tard, c’est presque inexplicable que cette danse, venue de la nuit des temps, bien avant la colonisation, soit toujours là, dans notre environnement. La rumba a une place importante dans nos vies, c’est louable que le Fespam lui fasse cet honneur.

L.D.B. : Pour la réalisation du film, vous êtes allé dans les Caraïbes et Amérique du Sud : avez-vous senti une totale reconnaissance de la rumba congolaise ?

D-P.F : La rumba congolaise est totalement reconnue comme telle. Le mot rumba est le mot espagnol qui vient de nkumba, le frottement de deux nombrils. Au départ, c’est simplement un rituel de fécondité. Je resitue le rythme qui est au départ un rite. C’est une danse que faisait la femme pour remercier les fétiches de l’avoir aidée à procréer. C’est devenu une symbolique que les Africains ont emportée outre-Atlantique. A Cuba, lorsque l’on va faire la fête, on dit « Allons faire la rumba ». Il y a des groupes qui s’appellent rumbaya. A Porto-Rico, le pays de la salsa, lorsqu’on a présenté le film, il y avait 1500 jeunes dans l’amphithéâtre. C’était impressionnant de voir l’engouement autour de cette musique, de sentir à quel point l’Afrique manque à cette partie du monde, trop souvent oubliée.

L.D.B. : Venue de la nuit des temps et passée par l’une des périodes les plus tragiques de l’Histoire, la traite négrière, la rumba n’est-elle pas devenue l’une des plus belles réussites du mélange de l’humanité ?

D-P.F.: Bien sûr, parce que c’est ça le métissage. On peut, d’ailleurs, dire la même chose de la capoeira, qui vient du royaume Kongo. Il y a eu un film magnifique du réalisateur angolais, Dom Pedro, et du pianiste argentin, Juan Carlos Caceres, "Tango Negro", qui retrace le même chemin, de l’Afrique vers l’Argentine. Il démontre également à quel point la culture africaine a conquis le monde.

Par exemple, dans le film « Sur les traces de la rumba », on entend régulièrement le mot « quilombo », qui vient du kimbundu « kilombo ». Dans toute l’Amérique du Sud, il a existé ces lieux de résistance où des esclaves évadés et des Indiens ont créé des républiques. Dans ces lieux d’autogestion, la rumba, comme musique et comme danse, a été un vecteur de partage et de résistance.

Bien plus tard, cette même rumba a inspiré le coupé-décalé ivoirien, le zouk et la biguine antillaises, et tant d’autres danses et musiques dans le monde.

L.D.B. : Vous avez participé à plusieurs reprises au Fespaco, la référence continentale du cinéma. A votre avis, que faut-il au Fespam pour devenir son pendant musical ?

D-P.F. : Je crois que les deux piliers sont la régularité et le choix des hommes. On doit savoir choisir des personnes qui ont l’habitude de gérer des événements de dimension internationale, même si elles ne sont pas congolaises. De la même manière, le Fespam devra peut-être aller chercher d’autres partenaires, en complément de l’Etat congolais qui ne peut supporter seul le poids d’un tel événement. Il faut que des grands opérateurs privés jouent le jeu pour aider au rayonnement de la musique africaine.

Avec le Fespaco, les Burkinabés n’ont pas oublié le sens panafricain, la dimension africaine. Je crois que nous devons nous en inspirer pour le Fespam, retrouver cette vision initialement donnée par l’Union africaine lors de la création du Fespam.

Par ailleurs, je pense qu’il faut utiliser tous les atouts de notre pays, décentraliser l’événement en utilisant le train et le fleuve.

Il me semble aussi que le Fespam doit être une vision à long terme en créant une industrie congolaise et africaine forte. Créons une sonothèque du Fespam, créons une radio du Fespam pour que l’événement ne s’arrête pas le dernier jour, qu’il se poursuive entre deux éditions.

Cela doit être davantage que des musiciens qui viennent jouer pendant dix jours tous les deux ans. Il faut des collaborations, des enregistrements et des échanges avec les jeunes congolais et africains. On doit montrer à nos artistes que le paradis n’est pas ailleurs.

Cela passe peut-être par un travail de fond dans l’éducation musicale à l’école, un baccalauréat musical. Il faut changer de paradigme, il faut voir grand, avec deux pays voisins, liés par la culture, au sein d’un continent riche et dynamique.

La rumba a montré à quel point l’Afrique peut être inspirante. Comme elle, le Fespam doit parler au monde entier.

Verbatim:

le Fespam doit être une vision à long terme en créant une industrie congolaise et africaine forte

David-Pierre Fila, né à Brazzaville en 1954, est un scénariste, réalisateur, photographe, critique de cinéma et anthropologue.
Il est notamment connu pour les films "Le dernier des Babingas" (1991), "Zao" (2009) et "Sur les chemins de la rumba" (2015).

Propos recueillis par Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

David-Pierre Fila, le réalisateur du film "Sur les chemins de la rumba" /DPF

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