Interview. Samuel Kidiba : « Brazzaville devrait être la capitale des archives de l’Afrique centrale »

Jeudi 2 Mars 2023 - 11:45

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

A l’occasion de la venue du président français à Brazzaville, Samuel Kidiba*, expert en patrimoine culturel et conseiller au Patrimoine et aux archives au cabinet du ministère en charge de l’Industrie culturelle, retrace le passé historique de Brazzaville et lance un appel.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Vous êtes spécialiste des archives. Une certaine opinion estime que ce domaine est encore vierge au Congo. Pourtant le pays a un passé historique à la portée internationale.

Samuel Kidiba (S.K.) : Effectivement, les archives sont un domaine encore vierge en République du Congo et nous n’avons pas de spécialistes en la matière. Pourtant les archives du pays sont à Brazzaville, à Pointe-Noire mais aussi en France où je viens de rencontrer les experts de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, de l’école de Chartes, de l’inspection du Patrimoine, des Archives nationales. Ils sont prêts à nous aider. C’est pourquoi aussi nous exhortons nos jeunes chercheurs, étudiants et écoliers à s’y intéresser. Tout ce qui se fait à la télévision, à la radio, que ça soit sonore, écrit, visuel, ce sont des archives et cette jeunesse, très outillée aux réseaux sociaux, devrait s’y intéresser.

Le sujet est très important car Brazzaville a une grande charge historique. Elle a été la capitale de la France libre et capitale de l’Afrique équatoriale française (AEF). Des esclaves en grand nombre sont passés par là qui venaient du Sud du Cameroun, du Sud de la Centrafrique, de l’actuelle République démocratique du Congo (RDC)… Depuis cette époque, le Congo est devenu un pays de transit. Il y a eu la construction du Chemin de fer Congo-Océan, tout ce qui venait de l’Afrique centrale passait par le chemin de fer qui a suivi la piste caravanière entre Brazzaville et Pointe-Noire. C’était la voie de communication, l’échange entre le royaume de la côte et le royaume téké.

Autre élément important, la rumba qui vient d’être inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco. La rumba n’est pas née hier mais les années 1950, ce qui revient à dire qu’il y a aussi là matière à réflexion.

Et puis, il y a le projet du musée national. Le pays est en pleine effervescence à ce sujet et le ministère en charge de l’Industrie culturelle veut faire en sorte que demain le musée soit placé au cœur du tourisme culturel au Congo. Nous sommes très heureux de constater qu’au niveau de la primature ou de la présidence, les autorités ont un regard assez attentif sur ce sujet.  

L.D.B. : Concernant la charge historique de Brazzaville, notamment les archives de l’AEF, quelle place devraient-elles occuper ?  

S.K. : Compte tenu de la charge historique de Brazzaville, je pense que la ville devrait être la capitale des archives de l’AEF, c’est-à-dire que tout chercheur qui partirai du Congo, de la RDC, du Cameroun, du Gabon, de la Guinée équatoriale, de l’Angola, devrait forcément passer par Brazzaville non seulement parce qu’il y a les archives même si l’on peut consulter sur le net de façon virtuelle, mais aussi parce que Brazzaville a des symboles : la Case de Gaulle, le stade Eboué, etc. Il y a beaucoup de vestiges ici de la capitale de la France libre, capitale de l’AEF, tout cela devrait être en quelque sorte relever d’une diplomatie culturelle. La meilleure qui soit. Nombreux sont les pays qui l’ont compris. Pourquoi pas alors le Congo qui est toujours à l’avant-garde de la littérature africaine francophone ? Notre pays a une littérature non seulement prolifique mais très puissante et très pertinente, au point où l’on compare certains de nos écrivains aux écrivains sud-américains. Bref, voilà une autre diplomatie culturelle qui pouvait servir à notre pays.

L.D.B. : Le président de la République française arrive en République du Congo. Ce pays devrait-t-il donner un avis technique et politique en ce qui concerne les biens culturels ?

S.K. : Aujourd’hui en matière culturelle,  la question à l’ordre du jour entre la France et ses anciennes colonies, c’est la restitution. Que ça soit en Europe ou en France proprement dite, des biens culturels du Congo se retrouvent dans de nombreux musées. Oui, le Congo doit donner un avis technique, un avis politique sur ces biens. Le président Emmanuel Macron a parlé d’un accord en vue entre les pays concernés et nous avons un projet à ce stade qui est la réhabilitation du Musée national. En ce moment-là, le Congo devrait véritablement dire qu’est-ce qu’il veut ? En tant que technicien, je dis qu’il faut déjà mettre en place une commission nationale qui examinera la question avec la coopération française sur place, mais aussi avec des techniciens, notamment des collègues africains et français, qui peuvent regarder avec nous comment identifier ces biens et les lieux où ils se trouvent. Dans quelles maisons, est-ce que ce sont des collections privées ? Qu’est-ce que nous devons faire pour suivre la démarche de ce que certains pays ont fait à l’instar du Bénin, du Sénégal et bien d’autres qui sont sur le point de le faire ? C’est l’occasion pour le gouvernement de parler de ce dossier avec le président Emmanuel Macron.

*Samuel Kidiba est un expert international en éducation du patrimoine culturel et naturel, muséologue, enseignant chercheur, ancien directeur du Musée national, de l’École de peinture de Poto-Poto, de l’École de patrimoine africain à Porto Novo, au Bénin.

Propos recueillis par Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Samuel Kidiba/ Adiac

Notification: 

Non