« L’Afrique se souvient… », plaidoirie mémorielle du Colonel Gérard Lemoine / Saint Cyr – Promotion Vercors.

Jeudi 22 Novembre 2018 - 16:01

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Voici maintenant 100 ans que la première tragédie du XXe siècle prenait fin. Née d’une histoire tourmentée de l’Europe centrale par le jeu des alliances, la France et son empire se sont retrouvés au centre de cette immense tuerie : 1 400 000 morts côté français ! Pour avoir effectué le début de sa scolarité à Brazzaville au Congo, et par la suite en mission militaire en Afrique Francophone, aujourd’hui à la retraite, le Colonel Gérard Lemoine apporte sa contribution mémorielle au centenaire de l’armistice.

Colonel Gérard LemoineIl se souvient que : « L’Afrique francophone, l’Empire, comme on disait à l’époque, a fourni 800 000 indigènes, soit comme soldats, les fameux tirailleurs sénégalais, soit comme travailleurs. L’armée d’Afrique a perdu 57 000 tués et plus de 14 000 ont été portés perdus, soit un peu plus de 3 % des morts français de la Grande guerre. Ils ont combattu en France, dans les Balkans et en Afrique partagée entre les puissances européennes. »

La lecture de l’histoire de l’époque rappelle que : « L’Allemagne, qui possédait les colonies dispersées, dont le Cameroun, a opposé une résistance aux alliés jusqu’en 1916. Il en fut de même pour ses autres possessions en Afrique de l’Est et du Sud-ouest. Elle recrutera jusqu’à 45 000 porteurs pour 11 000 combattants car, à l’époque, il n’y avait que trois lignes ferroviaires dans ces secteurs, pas de routes, juste des pistes et aucun animal destiné traditionnellement au transport. Le matériel militaire, les vivres et les munitions se transportaient à dos d’hommes. Beaucoup d’Africains moururent de maladie. Pendant quatre ans, les combats vont concerner une zone immense de deux millions de Km2, limitée à l’Ouest par les grands lacs et à l’Est par l’océan atlantique. Les Allemands, en infériorité numérique (70 000 soldats allemands contre 240 000 Africains), ont mené des opérations de guérillas. Ils finiront la guerre sans défaite. Leur chef, le général Paul Von Lettow-Vorbeck, ne s’est rendu que le 25 novembre 1918. Les alliés, lors du traité de Versailles en 1919, se partagèrent les possessions allemandes en Afrique. Le Cameroun et le Togo deviendront français ».

« Pour ce qui est du front européen, essentiellement en France, l’Afrique a payé un lourd tribut à la « grande guerre ». Un siècle plus tard, on ne connaît toujours pas précisément les noms de quelque 45 000 soldats morts ou disparus à Verdun, au Chemin des Dames tout comme aux Dardanelles. Ils s’appelaient Ouedrago, Traoré, Ouattara, Belkacem ou Harbi. Mais aucun monument aux morts ne récense leur nom. Le continent « noir » a fourni à la France 165 000 citoyens de l’Afrique occidentale française (AOF), 18 000 pour l’Afrique Equatoriale Française (AEF), plus de 172 000 Algériens musulmans, près de 100 000 Tunisiens et Marocains et 40 000 Malgaches ».

« Souvenons-nous l’hécatombe du chemin des Dames », note-t-il. Et de rappeler que : « le 16 avril 1917, 15 000 tirailleurs sénégalais sont lancés en première ligne à l’assaut des crêtes des Chemins des Dames. Incorporés à la VIe armée, ils sont placés sous le commandement du Général Mangin qui espère démontrer la valeur de la « Force Noire » décrite dans son livre paru en 1910 ».

« Malgré l’engagement de chars d’assaut, la bataille menée entre la Somme et l’Oise se révèle désastreuse. A la fin de cette journée effroyable, près de 1400 tirailleurs sénégalais, paralysés par le froid sont tombés sous le feu des mitraillettes allemandes. A côté de Mangin, le Général Mivelle promet la victoire « en 24 ou 48 heures ». Une dizaine de jours plus tard, l’offensive n’est toujours pas terminée, les combats ont entraîné la mort de 30 000 soldats français dont 7500 tirailleurs sénégalais, soit environ 45 % des effectifs engagés ».

« Une telle hécatombe, ajoutée à l’espoir déçu d’une fin de guerre, provoque une série de mutineries. Dès 1915, les résistances face au recrutement forcé des tirailleurs en Afrique prennent la forme de révoltes ouvertes comme dans la Bélédougou au Mali, dans l’ouest-Volta actuel Burkina Faso, au nord du Dahomey (Bénin), ou encore à Madagascar ».

« En Orient, le corps expéditionnaire paiera son lourd tribut. De nombreux tirailleurs sénégalais seront tués sur le front d’Orient lors de la bataille des Dardanelles en Turquie. Pour attaquer les Turcs, alliés de l’Allemagne, les alliés occidentaux créent un nouveau corps expéditionnaire sous les ordres du Général anglais Hamilton. Ce corps comporte quatre divisions britanniques (12 000 hommes) et le groupement français du Général d’Amade, dénommé corps expéditionnaire d’Orient, dans lequel figure la 2e brigade mixte coloniale (6000 hommes répartis en deux bataillons de « coloniaux », essentiellement des Algériens musulmans, des « Pieds Noirs » et des Tirailleurs sénégalais. Le débarquement a lieu sur deux rives des Dardanelles. Côté asiatique c’est un succès : les troupes françaises prennent une à une les tranchées turques lors des combats au corps à corps grâce aux Sénégalais. Malgré les pertes sévères (770 morts côté français) les assaillants sont maîtres du fort. Sur la rive européenne, les Britanniques auront moins de succès. La bataille des Dardanelles sera, au final, un fiasco militaire pour les alliés ».

« Durant la Grande guerre, les tirailleurs sénégalais se battent également dans les Balkans contre l’Allemagne et la Bulgarie. En 1918, ils permettent aux alliés occidentaux de remporter une victoire déterminante sur la Bulgarie ».

« Il ne faut pas oublier les bras pour faire les usines. Le Maghreb n’a pas seulement contribué à l’effort de guerre dans les tranchées mais également en fournissant des milliers de bras pour les usines. Durant quatre ans, l’Afrique du Nord va envoyer 180 000 travailleurs dans l’hexagone dont beaucoup vont rester sur place après la fin des hostilités. 100 000 Algériens et 40 000 Marocains ont été envoyés en métropole, essentiellement dans les grandes villes comme Paris, Marseille, Lyon et Saint-Etienne, mais aussi quelquefois dans les campagnes afin de remplacer la main-d’œuvre masculine partie au front ».

Son rappel se conclut par un constat où il estime que : « si les effectifs de l’empire ne furent en rien comparables à ceux engagés dans les conflits, leurs actions n’en demeurent pas moins capitales. Ces hommes vaillants et courageux étaient souvent envoyés en première ligne. Ils auront participé à de nombreuses batailles historiques comme celles de la Somme, de Verdun ou des Dardanelles ».

« Honneur à leur mémoire ! ».

« La France se souvient et n’oublie pas ! ».

« L’Afrique est fière et se souvient ! », scande le colonel Gérard Lemoine.

Marie Alfred Ngoma

Légendes et crédits photo : 

Photo : Colonel Gérard Lemoine

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