L’air du temps : et si Brazza rimait avec bar…

Samedi 22 Mars 2014 - 1:45

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« Pas un pas sans Bata ! » Les Brazzavillois d’une certaine époque se rappellent ce message publicitaire qui vantait une marque de sandales. Aujourd’hui, on pourrait aussi dire « Pas une rue sans bar à Brazzaville ! ». En effet, la capitale du Congo est connue pour ses célèbres bars, dont Poto-Poto et Bacongo furent les principaux foyers. Même si nombre d’enseignes ont disparu, ces bars ont fait l’histoire d’un peuple, car c’était tout leur art de vivre. Petite plongée dans le passé

Dans Congo Magazine n° 12 de mars 1986, on peut lire : « À Brazzaville, une parcelle sur deux est un nganda ». L’article de F. Mabiala, « Brazzaville, cité des jouisseurs ? », que cite  le sociologue Henri Ossebi, éclaire d’ailleurs la problématique qu’il soulève dans une publication intitulée Un quotidien en trompe-l’œil. En vérité, écrit Henri Ossebi, « l’histoire des bars colle intimement à celle de la ville. Le premier signal est sans doute l’achèvement en 1934 de la voie ferrée Congo-Océan qui relie Brazzaville à Pointe-Noire, débouché maritime de l’AEF dont le Congo est à cette époque la plaque tournante ». On trouve ici les causes qui ont fait de Brazzaville la cité des bars, le grand vivier de l’ambiance.  

Quels sont ces célèbres bars de Brazzaville ?

« Faignond à Poto-Poto, Pigalle à Bacongo, Congo bar encore à Poto-Poto, Élysée bar au rond-point de l’actuel Moungali, Cabane bantoue au Plateau des 15-Ans… Il y en a d’autres. Ah si mémoire pouvait ! » : Crépin M., sexagénaire, qui nous renseigne sur ces grands temples d’hier est un homme fort de taille mais avec un pas resté alerte lorsqu’il monte sur la piste. Intellectuels, hommes politiques, commerçants de renom ou autres, tous, ou presque, passaient leurs vies dans les bars. Une façon de parler certes, mais qui n’est pas loin de témoigner de la réalité dans cette ville « qui tourne le dos au fleuve qui le borde », et où aucune autre distraction majeure n’a été promue, en dehors de la musique et, peut-être, du sport.

« Un tel chantait dans tel orchestre, tel autre était guitariste là-bas, etc. » : ainsi vont les conversations de tous les nostalgiques « du bon vieux temps » que l’on peut croiser aujourd’hui au Cavernet, au nganda Massala ou derrière l’ancien Luna Park à Poto-Poto ou encore à La Détente à Bacongo. C’est dire que jusqu’à la fin des années 1970, on allait pas dans un bar juste pour boire ou passer le temps. On y allait surtout parce qu'on voulait être dans l’air du temps. Ici se créaient des orchestres. La musique en elle-même se concevait là. Et c’est dans les bars mêmes que se fabriquaient les musiciens. Peut-être faut-il voir dans ces lieux de vrais espaces de débats.

Que faisait-on dans ces bars ?

En effet, à l’intérieur, autour de la bière, on rejoue le dernier match de football entre les équipes vedettes du pays, Diables noirs et Étoile du Congo. À côté, on pronostique à voix basse sur les chances de tel ministre de demeurer au gouvernement. L’œil vagabonde et s’attarde, gourmand, sur cette élégante en pagne, croisée on ne sait plus où…

Chevillée à leur corps, cette tradition a demeuré chez le peuple de Brazzaville malgré le temps qui passe. Plus de 50 ans ! La nouvelle génération a tout hérité des anciens. Aux célèbres bars en voie de disparition ont succédé les ngandas auxquels nombre de chercheurs et d’essayistes consacrent leur temps et leur plume. Ainsi, dans Les rues et les ngandas de Brazzaville, un ouvrage à paraître, Émile Gankama, écrit qu’« ils ne sont pas seulement des lieux de détente ou d’évasion, ils sont aussi des lieux d’affaires ». Dans ce livre, l’auteur propose un florilège d’anecdotes, de faits croustillants qui ont fait et continuent de faire Brazzaville. Tout y est, sauf rien. Une vraie peinture de la première ville du Congo, environ 1,5 million d’habitants en 134 ans d’existence.

À propos des bars, Émile Gankama nous rappelle que la ville grandissant, de nouvelles enseignes ont vu le jour. « Louami, Karagandza, Kibéliba, Concorde, Sangami, etc. sont de ces ngandas de Brazzaville où des “yankees” ivres libéraient leur part de folie au grand dam des tenanciers. », écrit-il. Et d’ajouter plus loin : « Tout cela n’enlève en rien aux ngandas de la capitale congolaise leur caractère irrésistible. »

Jocelyn-Francis Wabout