Le Mali perd un écrivain majeur

Samedi 7 Décembre 2013 - 8:59

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Figure majeure de la littérature malienne, auteur de nombreux romans dont plusieurs romans policiers, Moussa Konaté s’est éteint le 30 novembre à Limoges à l'âge de 62 ans. Éditeur au Mali, il a été pendant dix ans codirecteur du festival Étonnants Voyageurs de Bamako. Dans l'un de ses derniers livres, L’Afrique noire est-elle maudite ?, dont voici la recension, l’auteur proposait des éléments de réflexion sur les handicaps qui pèsent sur l’avenir de l’Afrique noire

Non, l’Afrique noire n’est pas maudite ! Dans cet ouvrage, Moussa Konaté axe son étude sur le pacte fondamental de solidarité qui caractérise les sociétés noires africaines et il analyse la structure sociale de l’Afrique noire. Il procède dans une perspective élargie, qui englobe l’histoire, la politique, l’éducation, etc. Aussi englobe-t-il les populations au sud du Sahara, bâties sur les mêmes fondements culturels et ayant connu la même histoire.  Cet essai émane du vécu et de l’expérience d’un Noir africain, qui connaît de l’intérieur les cultures africaines. « Les disputes actuelles autour de l’esclavage et de la colonisation ne sont en définitive qu’un tapage assourdissant qui masque les véritables problèmes plus qu’il ne les dévoile. »

Moussa Konaté analyse avec pertinence les implications du pacte fondamental qui soumet l’individu à la « famille » et nie l’individu : « Le pacte est incontestable et intangible. » Nul ne s’y oppose par crainte du déshonneur et de la malédiction : « Le système repose sur une manipulation psychologique si bien huilée que les individus ont intégré la leçon et s’imposent  une redoutable autocensure. »

L’auteur passe ensuite au tamis certaines notions essentielles comme l’éducation, l’honneur, la famille, la malédiction, l’irrationnel, les divisions sociales, le travail. Il fustige les hypocrisies de la polygamie et l’excision, qui ne visent qu’à assurer la domination de l’homme sur la femme.. Ce système patriarcal ancestral doit évoluer pour trouver un équilibre entre l’individu et la société. Face à l’individualisme qui règne dans les sociétés occidentales, on  prône souvent  la solidarité en Afrique noire, mais cette notion positive est largement dévoyée de nos jours et enferme l’individu. Les personnes âgées occupent une place essentielle dans la société africaine par l’entremise du respect des anciens, mais ce principe peut devenir problématique quand il est immuable. Les hommes politiques défendent les intérêts particuliers de la famille « élargie », sous prétexte de solidarité et justifient ainsi la corruption.

L’utilisation des langues nationales africaines, vecteur de culture et de mémoire, est primordiale, car la pratique des langues européennes maintient une position d’infériorité. Moussa Konaté vitupère du reste les écrivains africains, qui se veulent écrivains «  tout courts ». Une autre question importante est celle de l’éducation dans les langues nationales et des programmes : « Comment former des individus qui ne soient pas en constant déphasage, voire en contradiction avec eux-mêmes, en injectant dans les programmes scolaires des contenus réconciliant la légitime sauvegarde de leur identité et la nécessité de s’ouvrir au monde ? » 

Cependant, il n’existe pas un seul élément explicatif au mal qui ronge l’Afrique. Les thèmes foisonnent, d’où quelques faiblesses qui émaillent parfois son propos. Les Noirs africains doivent faire face à leur histoire, même si elle est douloureuse – la pratique de l’esclavage par les Occidentaux et par les Arabes, la responsabilité des Africains dans le commerce des esclaves, la colonisation, etc. Pour se réconcilier avec lui-même et trouver sa place dans le monde, le Noir africain doit régler ses comptes.

La richesse de l’ouvrage réside dans ce mélange de vécu et de recherche. Moussa Konaté a le mérite d’éclairer la complexité de la situation de l’Afrique noire, de mettre en exergue la liberté individuelle pour la pratique d’une véritable démocratie et d’écarter la notion de « particularité » souvent accolée à l’Afrique noire. Non, l’Afrique noire n’est pas maudite. « Le problème noir africain est un problème humain, compréhensible à partir de l’étude des sociétés  et de leur histoire ».  

Fayard, 2010, 239 p.

Vincente Clergeau