Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (10)

Jeudi 8 Avril 2021 - 20:22

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10- Le plan de Mwakoumba

A quelque dix kilomètres à l’est d’Eygnami, le village Mbey Ongwala s’étendait sur plusieurs quartiers disposés dans un environnement qui n’était pas sans rappeler celui d’Eygnami. Assis dans la même savane, les deux villages étaient tributaires des eaux de la rivière Bagny qui, se précipitant de l’ouest vers l’est, court grossir la rivière Tchakosso, réputée navigable et poissonneuse autour du village Lessanga, avant qu’elle ne perde ses alluvions dans le puissant tourbillon du fleuve Congo.

Certains fugitifs de Bèlet s’étaient réfugiés à Mbey Ongwala. Deux jours après son arrivée à Eygnami, Mwakoumba s’y était rendue pour prendre les nouvelles d’Ibara Edzadza atteint au bras et à la cuisse pendant la fusillade. Mbey Ongwala était aussi le village du vieil Ngakosso  Dzanga surnommé Okanda a’Mbey, l’Asperge de Mbey, l’oncle maternel de Ngadoua Oley, l’époux de Mwakoumba. C’est ce dernier qui avait conduit le père d’Oley à Eygnami planter la sagaie au coin de la case d’Elion Mbossa en vue de demander la main de sa fille en faveur de son neveu. A Mbey, chez ce bel oncle débonnaire, Mwakoumba bénéficiait toujours du meilleur accueil.

Pour déjouer la menace qui pesait sur Mwana Okwèmet, elle avait projeté l’idée d’une fuite avec l’orpheline qui s’articulait en deux étapes. Dans un premier temps, tenant compte de l’heure, elle projeta de passer la nuit chez son bel oncle, l’Asperge de Mbey. Ensuite, tôt le matin, elle espérait avaler à toute vitesse la distance qui séparait Mbey du village Komo. Ici, vivait Ngambwè Kaa Kaa, un grand seigneur de ce village et de cette contrée, fidèle compagnon d’Obambé Mboundjè que le tout Bèlet reconnaissait par la seule apparence de sa haute stature soutenue par une démarche vivace, toujours pressée. Mwana Okwèmet le connaissait et il connaissait Mwana Okwèmet qu’il portait et cajolait pendait ses séjours à Bèlet quand assis à la véranda, le seigneur de Komo conversait avec son père. A Komo, pensait Mwakoumba, la fillette de Lembo’o serait en lieux sûrs, entre des mains sûres car, sans conteste, le seigneur Kaa Kaa veillerait sur elle comme sur sa prunelle.

Une fois l’orpheline sécurisée, Mwakoumba comptait retourner à Mbey, y rester pour attendre son mari dont l’arrivée était imminente. Elle savait que ni sa mère, ni sa tante ne saurait venir la chercher querelle chez son bel oncle car, ce dernier s’étranglerait d’une véhémente indignation en apprenant le fond de l’affaire. La captivité d’Apila auprès de son ex-époux n’était pas, pour ainsi dire, un fait public susceptible d’être colporté de village en village. Elion Mbossa et sa famille avaient d’ailleurs prévenu Etou, le roi Bouc, sur les conséquences négatives qu’il assumerait sur toute publicité qu’il ferait autour de la prise en otage de leur fille. La réinsertion sociale et l’honorabilité d’Apila ne devaient pas souffrir de bruits sur son changement de statut chez Etou.

Cependant, si, ni sa mère ni sa tante n’oseraient faire le déplacement de Mbey pour lui exiger des explications au sujet de Mwana Okwèmet, elle espérait que la captivité de sa sœur prendra bientôt fin avec l’arrivée de son mari, Ngadoua Oley.

 

Tel était le dispositif du plan que Mwakoumba mit au point dès l’instant qu’elle fut mise au courant du funeste péril qui menaçait la liberté de Mwana Okwèmet. L’annonce qui consistait à aller laver les enfants au ruisseau entrait dans le même dispositif. Elle voulait profiter de l’entrelacs des sentiers, pistes et chemins qui formaient la voirie d’Eygnami pour se glisser vers Mbey Ongwala depuis le ruisseau sans attirer l’attention de ses parentes.  Nyaka, notamment, était toujours soupçonneuse quand elle avait une idée derrière la tête.

 

L’annonce du départ à Kala-Kala sembla perturber le plan de la partie adverse. Alors que Mwakoumba et les enfants étaient sur le point de quitter l’arrière-cour, Olomi a’Ngongo et ses deux acolytes se levèrent subitement préoccupés sans cesser de jeter des coups d’œil vers Mwana Okwèmet. Ils tinrent un conciliabule, chuchotant entre eux puis, revinrent se concerter avec ses parentes. Elle n’entendit rien mais, soupçonna un mauvais coup.

Le ruisseau Kala-Kala était un bras de la rivière Bagny qui, s’avançant vers le village, s’ouvrait en une expansion assez large que les habitants désignaient par le lac de Kala-Kala. Ce lac servait de piscine à toutes les générations des enfants d’Eygnami dont c’était l’aire des jeux aquatiques. Les adultes de deux sexes n’y venaient que le soir après les champs, à tour de rôle. Kala-Kala où souvent les enfants allaient et venaient en chantant était situé à quelques minutes de marche d’Eygnami. On y venait de tous les quartiers du village en empruntant différents sentiers. L’un de ceux-ci figurait dans le plan de Mwakoumba. Après le bain des fillettes Nyelenga, Mwana Okwèmet et Opoyi a’Ma, elle prévoyait, au retour, à mi-chemin de leur quartier, ordonner à ses enfants Nyelenga et Opoyi âgées de 9 et 6 ans de rentrer à la maison. Elle prétexterait aller régler une affaire urgente dans le quartier où le soir se tiendra la manifestation Embonga. Seuls Mwana Okwèmet et Akondzo, le nourrisson qu’elle portait, l’accompagneront.

La partie lacustre de ce plan était en cours d’exécution lorsque se produisit l’inattendu. Les trois gamines s’ébattaient gaiement dans l’eau, alors qu’Adoua Mwakoumba lavait Akondzo sur la berge du lac. Du côté du village, se dessinèrent deux silhouettes masculines qui mirent subitement Mwakoumba en alerte : elle reconnut sans peine les deux acolytes d’Olomi a’Ngongo. Selon toute vraisemblance, ils ne venaient pas pour prendre un bain. Mwakoumba devint fébrile : son cœur battait de plus en plus vite, tandis qu’elle sentait ses cheveux se dresser. Rapidement, elle ordonna aux gamines de sortir de l’eau et de se blottir autour de Mwana Okwèmet. (à suivre).

 

 

 

 

 

 

Ikkia Ondai Akiera

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