Souvenir : Il y a 142 ans naissait Brazzaville sur le site de Mfaa

Jeudi 6 Octobre 2022 - 14:32

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A l’occasion de la célébration des 142 abs de la fondation de la ville de Brazzaville, l’historien et écrivain Hopiel Ebiatsa a fait un plaidoyer dans lequel il demande la restitution de l’histoire réelle.

3 octobre 1880- 3 octobre 2022, voici 142 ans déjà que Brazzaville naissait sur le site de Mfaa. Cette histoire, selon l’historien et écrivain Hopiel Ebiatsa, commença le 10 septembre 1880, lorsque De Brazza signa le traité qui lui autorisait de bâtir la deuxième station française sur les terres de Ilooh, roi des Tékés. En signant ce traité, De Brazza avait atteint son but, celui de frayer à la France une voie navigable d’une importance capitale pour le commerce. Celle-ci permettrait de remonter jusqu’à l’intérieur du continent en empruntant le fleuve Congo et son affluent l’Oubangui. Le lac Mbaoun (Mbamou) du nom de l’île qui rompt sa vastitude, baptisé Stanley-Pool en 1876 par son rival Stanley, constituerait le point nodal d’où partirait une ligne de chemin de fer pour relier cet arrière-pays conquis à l’océan Atlantique.

De Brazza, dit l’historien-écrivain, ne s’attardera donc pas. Il quitte Mbé le même jour. Trois semaines plus tard, après avoir marché dans la savane, navigué sur la Léfini, il atteint le fleuve Congo et voit finalement apparaître sa mer intérieure. Le 1er octobre, il arrive à l’embouchure de la Ntsiémé. Le 3 octobre, il explore la rive jusqu’à la rivière Djoué. Sur ce trajet, les villages et les hameaux en grand nombre grouillent d’une vie intense. Parmi ceux-ci, il y a Mfaa qui abrite le marché le plus important de la rive droite qui réunit au troisième jour de la quatraine téké, « Okila », les femmes et les hommes venus de tous les coins par l’eau et par les pistes de terre pour échanger. Ils sont pêcheurs, chasseurs, cultivateurs, artisans, courtiers... Ce même jour, voilà De Brazza de retour au village Mfaa qui accueille la cérémonie solennelle au cours de laquelle il retrouve les divers chefs représentants de « Makoko » de part et d’autre du lac pour prendre possession du site où il fonde cette deuxième station. Il la nommera Ncouna, plutôt Kouna, pour indiquer localement une direction en la pointant du doigt. Les Kongos renseignaient ainsi les Portugais sur l’existence du royaume d’« Anzico ». C’est, disaient-ils, Ntama Kouna soit, loin là-bas. (Réf. Ebiatsa Hopiel, Pouvoir royal téké et présence européenne-fin XVe-fin XIXe siècle, Paris, Edilivre, 2010).

L’historien-écrivain pose quelques questions du genre : pourquoi avoir choisi et privilégié une indication cardinale ? Pourquoi avoir éclipsé le nom de l’ancien bourg, la bruyante cité de Mfaa sur le site qu'il venait d’implanter sa station ? Les intentions de De Brazza étaient bien claires : après avoir rendu hommage à son pays d’adoption, comment ne point penser à son prestige personnel ? Ainsi, comme il lui a été facile de transformer, prétextant une erreur graphique de sa part, Francheville la première station française qu’il avait fondée un an plus tôt à l’embouchure de l’Ogooué, en Franceville (Réf. Ebiatsa Hopiel, Le traité Brazza-Makoko- Occupation du Stanley-Pool et naissance des colonies belge et française du Congo,Paris, Edilivre 2014.), il lui serait plus aisé et cela sans poser un seul problème juridique à qui que ce soit de remplacer Ncouna par un nom de sa convenance. Ce que, quelques mois seulement après, s’empressa de faire la Société nationale de géographie de Paris qui avait financé en partie cette seconde mission et beaucoup aidé l’explorateur à organiser des conférences chaque fois qu’il revenait à Paris, explique Hopiel Ebiatsa.

Et Mfaa devient Brazzaville

En 1881, Ncouna devenait Brazzaville. Reste que, 142 ans après, les Tékés n’ont pas oublié. Partis de l’intérieur de leurs plateaux pour rejoindre cette ville devenue la capitale du pays, ils ont toujours dit, disent, diront encore et toujours, qu’ils vont à Mfaa. Leurs enfants et leurs parents qui l’habitent ne sont pas Brazzavillois comme se désignent toutes ces personnes venues des autres coins du pays. Eux, les Tékés, sont à Mfaa, non pas seulement les habitants mais surtout les propriétaires des terres sur lesquelles naquit et depuis prospère Brazzaville. Comment venir expliquer cette envie de Mfaa exprimée avec autant de vigueur, autant d’insistance voire autant d’arrogance ? s’interroge-t-il. 

Pour l’historien-écrivain, Mfaa c’est l’expression de la nostalgie d’un lieu régulièrement fréquenté par les ancêtres Tékés. Ces derniers, souvent venus sur les rives du lac pour commercer, y séjournaient à chaque fois. Croyant ainsi avoir définitivement pris possession de l’endroit, ils finirent par lui donner ce nom qui est celui du village d’où ils sont originaires. (Réf. Ebiatsa Hopiel, Idylle sur l’île, Paris, Edilivre 2020). « On dit, en effet, que Mfaa ou Mfoa qui désigne aussi la petite rivière à l’embouchure de laquelle est localisé le grand marché est le nom d’un village encore fonctionnel bien connu du plateau Koukouya. Plus tard encore, ces mêmes Koukouyas nommeront un autre quartier de la ville, Moungali, dont ils furent les premiers habitants, du nom de Oungali, leur village d’origine sur ce même plateau. Il y a bien dans cette attitude une forte revendication de faire revivre le souvenir d’une origine téké de ces lieux emblématiques. Ce n’est donc en rien comme on le dit souvent, une volonté affichée de débaptiser la ville dont la fondation avait été autorisée en ces lieux par leur monarque », explique l’historien-écrivain.

Sur ce point, le débat est, en effet, depuis ouvert, précise Hopiel Ebiatsa. Deux camps s’affrontent de manière très tranchée. D’un côté, il y a les thuriféraires de la débaptisation dont la plupart, refusant on ne sait pourquoi de parler de Mfaa, ne se sont jamais accordés sur le nouveau nom à donner à leur ville. De l’autre, il y a ceux qui, au nom d’une histoire qu’il faut regarder dans les yeux, écartent d’un revers de la main l’idée de changer de nom à cette ville chargée d’histoire. « On ne le dira jamais assez : capitale du Moyen-Congo et de l’Afrique équatoriale, elle deviendra plus tard capitale de la France libre d’où allait partir la résistance africaine qui libéra la France de l’occupation nazie. En 1944, elle abritera la célèbre Conférence de Brazzaville qui ouvrait la voie aux indépendances des colonies françaises d’Afrique noire. En 1960, elle devenait la capitale du Congo indépendant, secoué trois ans plus tard par une révolution socialiste dont elle sera considérée à juste raison comme le berceau. Ce débat qui ressurgit de temps en temps en certaines occasions peut et doit désormais être définitivement clos. Pourvu que les décideurs se donnent le courage et les moyens de l’action », indique l’historien et écrivain, Hopiel Ebiatsa. Affaire à suivre.

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

1et 2 - Les premières cases de Ncouna / DR 3 : L'hôtel de ville de Brazzaville / DR

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