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Trois questions à Azeb Rufin, originaire d’Éthiopie, épouse de Jean-Christophe Rufin, écrivain, académicien et ex-ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie

Lundi 3 Mars 2014 - 0:00

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Azeb Rufin Les Dépêches de Brazzaville : Quelle perception avez-vous de la condition féminine en Afrique, au-delà de l’image d’Épinal (la femme avec un pot d’eau sur la tête et une ribambelle d’enfants) ? Les choses ont-elles beaucoup bougé, par exemple en Éthiopie avec le boum économique ?
Azeb Rufin : La situation des femmes en Afrique est extrêmement contrastée. Le continent est vaste, et il est impossible de le décrire dans sa globalité. C’est vrai depuis toujours, et si l’on observe les sociétés africaines traditionnelles (en milieu rural, par exemple), on notera de grandes différences entre les régions. L’Éthiopie, à cet égard, constitue un cas remarquable, car la condition des femmes y a toujours été plus favorable. Leurs droits ont toujours été protégés et leur rôle social éminent. Je me souviens de ma mère allant à cheval inspecter les propriétés de famille dans la région d’Ancober. Elle était un patron véritable…
Des différences notables existaient pourtant, notamment en ce qui concerne les mutilations génitales. Le fait est que ces différences n’étaient pas religieuses, mais plutôt régionales et familiales. Aujourd’hui, avec l’urbanisation et l’accès aux médias internationaux, la libération des filles en Éthiopie s’est encore accrue. Le communisme, en sapant les valeurs familiales traditionnelles, avait d’ailleurs préparé le terrain. Mais ces évolutions sont très différentes dans d’autres régions. On voit par exemple à quel point les femmes souffrent dans les conflits qui agitent l’Afrique centrale. Elles sont victimes de viols et réduites parfois à la condition de véritables esclaves…

LDB : On vous perçoit dans l’ombre de votre mari, mais vous vous occupez vous-même de la carrière de plusieurs écrivains et académiciens. Quelle est votre réaction suite à l’entrée d’Ousmane Sow sous la coupole et quel rôle peut jouer l’Afrique dans cette vénérable institution ?
Ousmane Sow est un grand ami et un homme admirable. J’ai été très heureuse de le voir revêtir l’habit vert. Les Académies qui constituent l’Institut de France ne peuvent se contenter de représenter l’hexagone. Elles doivent s’ouvrir à tout le champ francophone. Mais je veux souligner qu’à mes yeux, le fait d’être « issu de la diversité », comme on dit, ne signifie pas que l’on a obtenu sa place au rabais. Ousmane n’est pas aux Beaux-Arts parce qu’il est africain, mais d’abord et avant tout parce qu’il est un grand sculpteur…

LDB : Vous décririez-vous comme féministe ? Et que peut-être le féminisme du xxie siècle ou un féminisme africain ?
Le féminisme en Afrique est un immense chantier pour les raisons que j’ai expliquées. Certaines femmes (et j’en fais partie) bénéficient d’un statut privilégié et d’un accès aux médias occidentaux. Elles doivent être les porte-parole de toutes les autres, celles que l’on mutile, que l’on marie de force, que l’on viole. Celles qui souffrent et portent le double poids du sous-développement et de la discrimination.

LDB : Quand on pense aux héroïnes éthiopiennes, on pense à la reine Makeda. Quel pourrait être son héritage aujourd’hui pour des femmes africaines en Afrique, mais également pour les Africaines de la diaspora qui vivent dans les pays occidentaux ?
Mon nom, Azeb, est un des trois noms de la reine de Saba, avec Makeda. Vous imaginez que votre question me touche au plus haut point. La reine de Saba, à mes yeux, est d’abord une femme libre, qui nous montre l’exemple. C’est une femme qui a traversé les frontières pour aller rencontrer le roi Salomon. Enfin, c’est une femme qui est revenue vers son peuple, pour lui faire don d’un roi, Ménélik, mais surtout pour le faire profiter de ce qu’elle avait acquis grâce au contact de cette grande civilisation qu’était à l’époque le royaume d’Israël. Liberté, cosmopolitisme, souci de ne pas oublier ses origines… Il me semble qu’il y a là de quoi s’inspirer aujourd’hui !

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou et Florence Gabay

Légendes et crédits photo : 

Azeb Rufin ©DR