Grazina, un récit du train: Coup de théâtre (8 )Vendredi 30 Mai 2025 - 15:55 Sur le champ j’étais désillusionné. C’était de nouveau l’impasse. Je n’arrivais toujours pas à me débarrasser de la menace que constituait la présence de Grazina tant que nous partagerons le même espace. Le nouvel échec que je venais de subir était une défaite de la naïveté, c’est-à-dire une défaite de la sincérité et de la franchise sans fard ni arrière-pensée que l’on traîne aveuglement, lorsque que l’on veut coûte que coûte bien faire. En voulant éviter un conflit que je sentais imminent, je m’étais lourdement planté dans le choix de mes armes. En effet, comment avais-je pu croire qu’il suffisait de dérouler cette stupide théorie du parallélisme des formes devant Michel pour qu’il vole à mon secours sans se poser des questions sur l’état d’esprit de ses deux compagnes slaves et sur l’ambiance qui régnait dans leur cabine ? Mon zèle était tel que, tête baissée, j’avais foncé en faisant abstraction des finesses de la nature humaine. La mêlée des races et des genres qui semblait être un échec dans la 6 était pourtant bien en marche dans la 5. En y réfléchissant, je finis par trouver un coupable à cette déconvenue. Je pointai une interférence occasionnée par le conciliabule de la veille entre Grazina et ses parents. En cherchant de l’éloigner, je voulais me débarrasser des conséquences de cette interférence en préconisant une théorie dont la vérification immédiate me désillusionna. Le cloisonnement, la compartimentation, n’était pas toujours une solution universelle dans ce genre de situation. Je n’étais pas encore au bout de mes surprises après cette désillusion. Un énorme coup de théâtre allait bientôt bouleverser le détestable climat de la 6 que je venais d’échouer d’assainir avec mon plan d’expulsion ratée de Grazina. En effet, lorsque je me retournai face à cette dernière, la peine que cet échec reflétait sur mon visage la bouleversa littéralement. Un haut-le-corps la secoua brusquement. Pendant un instant, nous restâmes sans parole à se dévisager comme si l’on cherchait à se découvrir mutuellement. Elle avait entendu toutes les grossièretés qui fusaient de la 5 contre elle et semblait être tout aussi déconcertée que moi. La cuisante désillusion que je venais de subir paradoxalement renforçait devant la jeune dame la sincérité, la franchise et l’honnêteté que j’avais mis dans ma démarche et autres explications dont elle était témoin. Me relevant de cette frustration, je voulus persister en interrogeant à l’aveuglette la disponibilité d’une place dans d’autres cabines. Elle protesta fortement en s’écriant :
La suite fut révolutionnaire. Face à l’impasse dans laquelle nous nous trouvions, une mutation soudaine se produisit dans son esprit. Elle fit sa révolution : après m’avoir fixement regardé, elle me prit d’autorité par le bras gauche, s’engouffra résolument dans la 6, comme on se précipite dans un refuge en m’entraînant à sa suite comme si j’étais dans ce refuge, le gage de sa sérénité mise à rude épreuve. Je la suivis instinctivement, sans se poser des questions sur l’instant. Sans contexte, pour moi, il s’agissait là d’un geste d’acceptation qu’exprime une femme lorsqu’elle invite un homme à partager le pré carré de son intimité. Je franchis le seuil de la cabine dans son dos le poignet attaché à sa main. L’instant d’après, debout, les yeux dans les yeux, main dans la main, nous étions comme pris dans un rite initiatique d’une secte secrète. Rien ne sortit ni de sa bouche ni de la mienne. Ce silence se prolongea tandis que nos bras jetaient un pont d’amitié qui rompit le climat glacial de notre cabine. Enfin, reprenant mon contrôle, je réussis à briser ce silence. Je secouai ses deux bras toujours liés aux miens en s’écriant :
Un large sourire illumina son visage. Sans bouger de sa position, à son tour, elle se mit à secouer mes deux bras en répétant de façon mimétique :
François Ikkiya Ondai Akiera Notification:Non |