Basango : un projet culturel avant-gardiste à Pointe-Noire

Samedi 14 Juin 2014 - 0:15

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Depuis cinq ans, la passion  du couple Adriana et Wilfrid Massamba a permis à Pointe-Noire d’accueillir à la fois un festival de jazz où sont invités des artistes excellant dans le jazz et des registres différents, mais surtout d’avoir un des lieux les plus innovants culturellement parlant. Au cœur du quartier du Plateau, grâce à la passion et l’engagement inédit de ses propriétaires, l’espace Basango-Point culturel cultive l’art de la rencontre et fait rayonner la diversité culturelle

La beauté du lieu vous accueille par une fresque joliment plantée sur la façade de Basango et attire depuis sa création de plus en plus d’adhérents. On est le jour du marché aux puces. Une première à Pointe-Noire et une nouvelle initiative lancée par Basango dans le but de créer un point de convergence culturel pour les  amateurs d’art et de belles choses. Ce défi relevé, le couple en est fier après une lourde bataille qui a duré près d’un an avec la mairie de Pointe-Noire pour obtenir l’autorisation d’investir la rue une fois par semaine en faveur des créateurs.

C’est au rythme des sons du jazz que se créée l’ambiance du marché. Aux côtés des artistes peintres qui ont investi un coin de la rue, on retrouve sur les tables des marmelades, des jus naturels, des colliers, des nattes et cabas en plastique et quelques babioles utiles. Les commerçants que l’on retrouve ce jour-là sont tous connus du couple dont la démarche a été d’insister sur l’accessibilité des prix proposés. Car si, selon Adrianna, l’épouse de Wilfrid, le marché « veut donner un coup de pouce aux producteurs, nous ne voulons pas que ce soit un marché pour les Blancs. Nous veillons sur les prix proposés, ils doivent être les même qu’à la cité pour permettre à tout Congolais d’acheter. »

Ce désir d’ouverture explique la présence au marché du conteur Jorus Mabiala qui le temps d’un instant de lecture a partagé avec le public ses contes. Le conteur semble heureux d'être à cet endroit qui lui est désormais familier. Quelques jours plus tôt, à l’occasion de son festival de contes Retour au Mbongui, Jorus présentait  un spectacle de conte à Basango. Le succès fut au rendez-vous, nous confie-t-il. Installé à Marseille, l’artiste appartient à ces rares Congolais qui défendent l’art du conte sans coup férir. À Pointe-Noire, où il séjourne jusqu’au 22 juin, il multiplie les ateliers avec des élèves du collège. Cet engagement a été renforcé par le choix de l’école congolaise d’insérer deux de ses ouvrages dans les programmes scolaires : Si La Fontaine parlait africain et Contes très africains. S’il apprécie ce choix de l’État congolais, Jorus constate amèrement que « les gamins sont perdus et ne comprennent rien au conte. Et curieusement, à l’examen on leur demande le conte africain ». Visiblement, Jorus Mabiala aimerait se saisir de ce vide pour faire de la pédagogie qui, espère-t-il, favorisera une meilleure appropriation du conte par la jeune génération : « Je pense qu’il faut leur parler du côté littéraire du conte et leur donner des éléments de comparaison, leur parler de la profondeur du conte et du métier du conteur et aussi tout ce qui a fait la littérature congolaise basée sur le conte. On a un super exemple  dès lors que le Renaudot congolais est sur le conte. »

Après ces échanges, on décide de poursuivre la découverte de Basango en entrant à l’intérieur. La salle qui s’offre à nous est une sorte de patchwork culturel. C’est un endroit fascinant qui témoigne de la résistance artistique de ses propriétaires, mais également de sa vitalité, sa mixité et ses désirs d’ouverture. Ici, les peintures de Gastineau Massamba côtoient celles d’autres artistes, tels Jussie Nsana. Toute l’année, des cours de musique sont donnés à une quarantaine d’élève. Des concerts s’y multiplient également, et le festival de jazz sert aussi aux artistes. Ici lorsque l'on vient prendre un verre, on a aussi la possibilité de se plonger dans les livres et les revues qui s'y trouvent. D'ailleurs, le couple espère développer dans les mois à venir son fonds pour devenir en plus une bibliothèque où foisonneront tous types de littérature.

Adriana, que l’on retrouve à l’intérieur derrière le comptoir qui lui sert de bar à thé et de cave à vin, évoque l’engagement de la Basango au service de la culture et de l’art : « On sait que l’on est en train de faire quelque chose de bien pour le Congo et la nouvelle génération. C’est ce qui nous motive lorsque nous rencontrons des difficultés », dit-elle, car les difficultés ce n’est pas ce qui manque lorsque l’on développe un tel projet culturel sans subventions ni dons.  

Si Adriana travaille dans l’humanitaire pour la Croix-Rouge internationale, Wilfrid, quant à lui, est photographe et s’est illustré dans le cinéma avec de nombreuses collaborations dans différents pays en tant que réalisateur. C’est donc grâce à leurs revenus que l’un et l’autre contribuent seuls à la survie de Basango. Un exemple citoyen qui force le respect : « On est la société civile, on a une obligation vis-à-vis de la société. On ne peut tout attendre de l’État. On n’a pas le droit d’abandonner et dire aux artistes qui comptent sur nous que Basango n’existe pas. »

Finalement la ville océane peut se vanter d’avoir un espace culture de haut niveau grâce à l’exigence artistique et intellectuelle de ses propriétaires. Rendez-vous du 6 au 9 décembre dans ce même lieu pour l’édition 2014 du Basango Jazz Festival.

Meryll Mezath

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : L’espace Basango-Point culturel à Pointe-Noire (extérieur). (© DR) ; Photo 2 : L’espace Basango-Point culturel à Pointe-Noire (intérieur). (© DR) ; Photo 3 : Adriana Massamba. (© DR)