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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : Demolayi, Félix Kanoukounou

Vendredi 7 Décembre 2018 - 11:39

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Félix Kanoukounou, célèbre commerçant de Brazzaville, est décédé sur place, le 8 novembre dernier. Il a été inhumé le 23 novembre, à Massissia, où il avait décidé de s’y installer en 2012.

Félix Kanoukounou était grand par la taille, ce qui lui valut ce surnom, Demolayi. Il était né vers 1924. Fils de Nzoko Alphonse et de Maboundou Thérèse, il est très tôt orphelin, élevé par son oncle Ganga qui l’inscrit à l’école primaire catholique de Voka. Patrice Lhoni qui deviendra, plus tard, un célèbre écrivain, est son condisciple. Le malheur semble collé aux basques du jeune Kanoukounou qui perd son oncle alors qu’il se trouve au cours élémentaire. Il doit désormais se débrouiller tout seul. Il se lance dans le petit commerce, vend des œufs et du tabac sillonnant le Pool pour son office. Puis, il achète des produits du terroir qu’il revend à Brazzaville et vice versa. Il s’installe à Brazzaville dans les années 1940. Il est désormais un homme d’affaires prospère. Mais son activisme politique au sein du Mouvement socialiste africain de Jacques Opangault le contraint à l’exil à Bangui, en Centrafrique. A la fin des années 1950, début 1960.

De retour à Brazzaville, vraisemblablement en 1962, il reprend ses activités commerciales et crée le bar « La Bonbonnière», sur l’avenue de Paris, actuellement avenue de la Paix. Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin et se lance dans la construction. Après la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963 qui renverse le président Fulbert Youlou, il adhère au Mouvement national de la révolution. En 1968, lorsque Massamba-Débat quitte le pouvoir, Demolayi est arrêté, suspecté d’entretenir la Défense civile, milice du pouvoir déchu. Il est jugé et relaxé. Peu après, il installe une station de concassage de pierre à Massissia et crée un élevage de poules pondeuses et une porcherie. A Nkayi, dans la Bouenza, il exploite des terres pour produire du maïs.

Demolayi s’installe définitivement à Massissia en 2012 où il rend son dernier souffle. L’histoire retiendra qu’il aura été, avec d’autres, un mécène de la musique congolaise. Cette musique qui a fait la renommée de Brazzaville, ville musique du réseau ville créative Unesco, depuis 2013 sous l’administration du député maire de la ville, Hugues Ngouélondélé.

Béa, Brazza-la-capitale, Brazza-la-verte, autant de noms pour désigner Brazzaville. Elle avait la réputation d'être une ville vivante et gaie désormais plongée dans un spleen existentiel. Quoiqu’il en soit, il n’en demeure pas moins que sa renommée de ville de musique n’est nullement usurpée. En effet, dès la fin des années 1920, se développe, dans ce que Balandier appellera plus tard, les Brazzavilles Noires, Bacongo et Poto-Poto, une musique urbaine nourrie des sonorités de la musique traditionnelle. Des groupes de musique de fortune peuvent être considérés comme la source matricielle de la musique congolaise, à l’image de Bonne espérance. Créé à l’initiative de Paul Kamba et Albert Loboko, elle ouvre la voie à la création, en 1941, de Victoria Brazza, l’emblématique orchestre de Paul Kamba. Cet artiste a exercé un véritable magistère sur la musique moderne des deux rives. À Brazzaville et à Kinshasa, de l’autre côté du fleuve Congo, on le regardait et on tentait de l’imiter. La création par Wendo, deux ans plus tard, du pendant kinois de Victoria Brazza, Victoria Kin, en est la preuve ultime. À côté de l’immense Paul Kamba, il faut citer : Raymond Nguema, Dadet Damongo, Eboma, Gabriel Kakou, Georges Mozebo, à Poto-Poto; Massamba Lebel, Bamanabio, Jean Makanga, Laurent Mouanga (Mia Bourreau), Victor Mamba, Emmanuel Matitou, Maurice Kéké, Joachim Loko Daniel Bikouta « Mayi Moto), Henri Malheur et Matricule, etc., à  Bacongo, les autres pionniers de la proto-musique congolaise.

Le grand tournant dans l’évolution de la musique congolaise est, sans conteste, la naissance, en 1954, de l’orchestre Negro Jazz de Joseph Kaba, au célèbre bar dancing Chez Faignond, haut lieu des mondanités à Brazzaville depuis 1948. S’y retrouvent, outre Nino Malapet et Edo Ganga, des transfuges des Cdj (Compagnons de la joie), Essous, Pandi, Michel Makouala, Kouka Célestin. Guy Léon Fylla remplace Joseph Kaba en qualité de chef d’orchestre. Les musiciens du Negro Jazz vont essaimer à travers Léopoldville pour participer à la création des groupes huppés sur la rive gauche du fleuve Congo: Ok Jazz, Rock’A Mambo, Maquina Loca, etc. Aussi bien à Kinshasa qu’à Brazzaville, la plupart des bars qui ont permis l’éclosion de la musique congolaise moderne des deux rives ont changé de vocation. Vis-à-vis à Kinshasa, Macedo et Faignond à Brazzaville font encore de la résistance, un véritable combat d’arrière-garde. Ils sont désormais des lieux de culte des églises dites de réveil. C’est que dans ces deux villes-miroirs, la misère a favorisé un prosélytisme religieux ravageur. Endolori par les problèmes existentiels, les hommes et les femmes se réfugient dans la prière, exutoire des âmes en peine. Elles ont siphonné les clients-mélomanes désormais clients-chrétiens qui envahissent ces églises, véritables lieux d’exploitation de ceux qui les fréquentent à coups de dimes et autres artifices. Elles entretiennent des groupes de musique dite « chrétienne », contrefaçon de l’autre musique qui en fait les frais. Lorsque la première, en dépit de la crise, vend des centaines de CD, l’autre sombre dans un véritable marasme.

De Massissia qu’il avait choisi comme lieu de retraite, Félix Kanoukounou dit Demolayi, ce mécène dans l’âme, a dû assister, impuissant, à la lente descente aux enfers de la musique congolaise. Ce qui, je l’espère, ne l’empêchera pas de reposer en paix. Que la terre de nos ancêtres lui soit légère.

Les véritables héros ne sont pas toujours ceux ce que l’ont croit.                                                                     

Mfumu

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