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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : Henri Lopes

Vendredi 2 Novembre 2018 - 17:18

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Ecrivain, ancien Premier ministre du Congo, ancien directeur général adjoint à l’Unesco pendant quinze ans, ancien ambassadeur du Congo en France, pendant dix-huit ans, retraité depuis quelques années, Henri Lopes est né le 12 décembre 1937 à Léopoldville (actuellement Kinshasa). Il vient de publier un nouveau titre aux Editions  JC Lattès, Il est déjà demain

Henri Lopes est un auteur à succès, quoiqu’il dise lui-même : « Je n’ai pas l’outrecuidance d’imaginer que mon œuvre bénéficiera d’une longévité égale au millième de celle des pyramides d’Egypte ou de Teotihuacan. Je n’avais pas la prétention de bâtir des monuments. Mais simplement, modestement, d’apporter ma pierre à l’édifice ».  À son actif, plusieurs œuvres, parmi lesquelles : Tribaliques, 1971 ; La Nouvelle romance, 1976 ; Sans tam-tam, 1977 ; Le pleurer-rire, le Chercheur d’Afrique, 1990 ; Sur l’autre rive, 1992 ; Dossier classé et Lettre à ma grand-mère. Sa nouvelle publication, Il est déjà demain, est une sorte de plaidoyer pro domo et un regard critique sur la société congolaise.  

Il est déjà demain est un pavé de cinq cent six pages. Henri Lopes y décrit son parcours, sans faux-fuyant.  À travers son récit, le lecteur se glisse dans les méandres de l’histoire du Congo qui commémore, cette année,  les 60 ans de la naissance de la République. Certains passages de ce livre sont édifiants.

« Aveuglé par mon analyse marxiste et rationnelle des événements, je sousestimais le poids de la tribu, facteur capital de la vie politique congolaise, que pour farder la vie réelle, nous appelions d’un terme grandiloquent géopolitique ».

La géopolitique est la grande tare de la vie politique congolaise qui a occulté la compétence, discriminant essentiel dans le choix de ceux qui doivent diriger l’Etat. Les membres des différents gouvernements depuis la naissance de la République, dans la grande majorité des cas, sont un ramassis d’acteurs aux profils hétéroclites, incapables de jouer une partition sans fausse note. Au lieu de régler concrètement les problèmes qui se posent au pays, ils en posent eux-mêmes par leur absence de compétence, leur train de vie ostentatoire et la cavalerie financière. Le gouvernement de la première république a été renversé pour ces raisons.  La moralité y était sacrément louche. S’y ajoutaient, un tissu industriel quasi inexistant, un sous-emploi dans tous les secteurs, privé, public et parapublic, source de déficits chroniques et cumulatifs des finances publiques et de la balance des paiements. Le tout aggravé par des politiques inappropriées et une mauvaise qualité de la dépense. Depuis la naissance de la République, cette situation est récurrente. Nous ne sommes pas capables de la juguler, faute d’hommes de qualité à la manœuvre. Au surplus, et plus tard,  le parti-Etat a fossilisé le casting biaisé des hommes désignés aux postes de responsabilité.

Le président Youlou renversé, vint Massamba-Débat avec un gouvernement de technocrates : Lissouba, Ebouka-Babackas, Paul Kaya, Dr Galiba, etc. Même si, comme d’autres après eux, ils n’avaient aucune expérience administrative pertinente et qu’ils durent apprendre sur le tas, on leur doit des progrès économiques incontestables. Mais, force est de constater que  certains choix erronés finirent par plomber leur bilan. A cet égard, l’enseignement est un exemple cuisant d’échec. « Nous n’avions aucune vision claire de l’état de notre enseignement », écrit Henri Lopes, alors directeur général de l’enseignement,  à la page 273 de son livre. Plus loin, il enchaîne : « Les statistiques scolaires permirent de mettre également en évidence un phénomène que j’avais constaté lors de mes inspections, le sureffectif de certaines classes. J’ai vu, lors de mes tournées à l’intérieur, aussi bien dans les villes de Brazzaville et Pointe-Noire, des salles de classe de plus de cent élèves dans des salles exigües. Cette surpopulation était due à la pénurie de bâtiments aussi bien qu’à l’insuffisance des maîtres. Le système éducatif ayant été nationalisé en 1964 », en réalité en 1965.

 La nationalisation de l’enseignement est cette foucade qui continue de nous plomber, des décennies après. On a touché « le tréfonds de la sottise avec ces pitreries lamentables, vaseuses, grotesques, qui ont déshonoré » l’intelligence, comme le dit un auteur français. Le Congo est réputé pour ses expérimentions douteuses, ici comme ailleurs. C’est ainsi qu’après la chute de Youlou, le marxisme est adopté comme idéologie du Mouvement national de la Révolution (MNR). Une terrible déraison  qui a empoisonné l’existence des Congolais. Comme le rappelle Henri Lopes, « En fait, peu de ceux qui avaient œuvré pour que le socialisme scientifique devint l’idéologie dominante, et exclusive, du pays en avaient une idée bien claire »,  usant des postures et des modes de pensée rabougris, pour citer  Patrice Delbourg. Nous payons encore aujourd’hui le prix d’un choix  calamiteux qui nous a fait perdre du temps sur le chemin du développement. Que sont les marxistes, « purs et durs », devenus ? Introuvables.

Au plan des faits historiques,  Il est déjà demain est un livre dense, truffé d’informations narrées par un acteur privilégié de la vie politique nationale. Il enrichit la chronique politique en éclairant de nombreuses zones d’ombre de notre histoire contemporaine, en dépit de quelques raccourcis malencontreux, notamment, à propos des Trois glorieuses journées des 13, 14 et 15 août 1963.

 Ma conclusion, au terme de la lecture de ce livre, la République  doit être refondée. Ce devrait être l’enjeu essentiel de la célébration des  60 ans de sa création, le 28 novembre prochain.  La lancinante question demeure : qu’avons-nous fait de la République ? Un gâchis. Il faut rapidement procéder à un aggiornamento en tournant le dos aux divagations parodiques typiquement congolaises. Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Mfumu

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Édition Quotidienne (DB)

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