Opinion

  • Brin d’histoire

Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : la détresse des musiciens congolais

Jeudi 13 Décembre 2018 - 20:50

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel


Brazzaville, ville de musique, n’est pas usurpée. En effet, pendant des décennies, la musique congolaise a tenu le haut du pavé sur le continent et ailleurs, influençant des artistes comme T. Mensah du Ghana et d’autres encore.

Depuis quelques années, la musique congolaise a baissé pavillon en raison d’un contexte délétère marqué par de fréquentes convulsions politiques qui ont culminé en 1997, avec la guerre dite du 5 juin 1997. En fait, au sortir de la Conférence nationale souveraine et des premières élections démocratiques, le pays connut une vague d’instabilité institutionnelle qui atteignit son paroxysme avec la balkanisation de Bacongo et de sa périphérie. La peur s’installa dans le pays entraînant, entre autres, la raréfaction de l’activité musicale.

La musique congolaise entra dans une longue période de somnolence dont elle peine à sortir. N’eût été l’Institut français du Congo, elle n’existerait même plus. L’ancien Centre culturel français aussi bien à Brazzaville qu’à Pointe-Noire contribue au maintien de la vie culturelle et, singulièrement, de la musique. Les bars ont changé de vocation. Ils hébergent désormais les églises de réveil qui pullulent au Congo où les âmes désespérées espèrent retrouver un peu de confort et l’espoir d’une vie meilleure.

Le XXIe siècle est marqué par la mort de plusieurs artistes de renom : Essous, Nino, Souza Vangu, Célestin Kouka, Gerry Gérard Biyela, Nelly Okemba, Bienvenu Roland Faignond, Rapha Boundzeki, Braz Antonio, Roger Mpikou, Lambert Kabako, etc. D’autres continuent laborieusement leur chemin et l’activité musicale quasi en berne ne nourrit plus son homme. Au plan institutionnel, un ministère de la Culture amorphe ne fait rien pour soulager certains grands noms de la musique congolaise réduits à la mendicité pour ne pas mourir. Le ménestrel se fait malgré lui parasite. Bohème débraillé, il suscite socialement la pitié. Dans le petit univers archétypal des musiciens, l’heure est à la grogne. Les redevances perçues par le BCDA (Bureau congolais du droit d’auteur), qui ont considérablement cru, ne remplissent pas paradoxalement leur office. Quand il arrive que ses dirigeants en redistribuent occasionnellement, ce sont des miettes que reçoivent les artistes. Personnellement, je n’ai jamais perçu, depuis dix ans, ma part des droits mécaniques régulièrement acquittés au BCDA. Il faut dire que la gestion de cette structure est cavalière. Un audit doit être effectué pour clarifier la situation. Seuls quelques rares artistes comme Roga Roga et Franklin Boukaka, il y a quelques temps, percevaient des sommes conséquentes reversées au BCDA par la Sacem.

La Sacem, jusqu’à la création du BCDA, gérait avec professionnalisme les droits d’auteurs au Congo. Rappelons pour mémoire que la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) s’installe au Congo en 1962. M. Lesquoy, patron de la société Materco (Matériel de construction), en est le représentant. Un de ses agents, Materco Baniakina, ancien footballeur de l’As Bantou, est le premier clerc congolais de cette institution. Essous Jean-Serge en est le premier sociétaire.

En 1966, l’orchestre Negro Band est bloqué à Abidjan. Le promoteur, un sujet béninois,  a pris la clé des champs avec les recettes de la tournée qu’effectuait  cet orchestre en Afrique de l’ouest. C’est grâce aux droits d’auteur de Max Massengo et de Démon Kazanaud que l’orchestre put rentrer au Congo. Entre-temps, José Missamou, Morin, Julios et Raph Loumbé en profitèrent pour disparaître dans la nature. Ils s’installèrent en Côte d’Ivoire où ils montèrent l’orchestre « Les Zoulous » qui connut un vrai succès dans ce pays.

Il est donc nécessaire que les musiciens, à défaut d’une organisation syndicale digne de ce nom, se retrouvent au sein d’une plate-forme pour exiger une refonte des textes organisant le BCDA pour le mettre enfin au service des bénéficiaires et des ayants droit. Quelques artistes peuvent en prendre l’initiative : Edo Ganga, Passi Mermans, Michel Boyibanda, Rikky Siméon, Clotaire Douley, Auguste Fall, Freddy Kebano, Zao, Mangouani Simon, Roga Roga, Pape God, Kevin Mbouandé, Zara, Alain Bengolo, etc. Il s’agira  pour ces artistes d’exiger du ministère  la refonte des textes organisant le BCDA et l’instauration d’une meilleure gouvernance des droits, notamment par la mise en place d’un fonds de soutien à la création et une mutuelle des artistes musiciens et des éditeurs.

La musique congolaise s’est fortement dépréciée depuis quelques années. Au-delà d’un manque évident de talent des néo-musiciens, les conditions d’exercice de la profession se sont sérieusement détériorées, les grands raouts relèvent désormais du passé, le tout aggravé par une absence de politique culturelle volontariste des stakhanovistes de la calembredaine. « On prétend porter l’honneur si haut  quand certaines manœuvres sont si basses ! ». Les véritables héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.                                                                     

 

Mfumu

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

Notification: 

Non

Brin d’histoire : les derniers articles