Opinion

  • Le fait du jour

A Charm...

Lundi 29 Mai 2023 - 15:45

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel


Mardi 23 mai : la nuit est tombée et je décide de me déplacer avec l'espoir de trouver de quoi me mettre sous la dent. La veille déjà, le même souhait de dormir du sommeil du juste après un long voyage de 48 heures par cinq aéroports entre Brazzaville, Pointe-Noire et le reste, m’avait poussé à sortir avant de renoncer.

De fait, dans le magnifique hôtel qui nous accueille en plein cœur de la célèbre station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh où je dois couvrir, pour le compte de nos quotidiens et de notre agence, Adiac, les assemblées annuelles de la Banque africaine de développement, le côté chagrin venait du restaurant. En dépit d’un service en chambre irréprochable, il arrive parfois dans ces endroits sélects, que l’on s’embarrasse de l’absence de plats familiers.

Ce soir-là, à l'initiative des organisateurs, en collation de réception, des petites friandises, un cocktail moyennement alcoolisé ou totalement free ainsi que du jus étaient distribués sur une terrasse jouxtant une vaste piscine bleue. Les mets servis dans les airs ayant tendance à s’évanouir vite on ne sait si c’est à cause de la loi de la pesanteur ou d’autres paramètres, l'on se retrouve le ventre dans les talons. 

Je vivais aussi un autre désagrément, plus sérieux celui-là, certains journalistes n'avaient pu recevoir un second badge, disons le bon badge donnant accès, tenez-vous bien, à la cérémonie d'ouverture en présence des chefs d’Etat et au dîner organisé tout de suite après dans un bel endroit coloré. Nous étions bien entendu formellement invités aux 58es assemblées de l’institution dans les termes de courtoisie connus. 

Ç'en était trop même si je dois le dire, depuis un moment après maintes hésitations, j’ai décidé de passer à tabac tout agrégat ressemblant de près ou de loin à un germe de stress et convenu d’en commémorer un autodafé autour d’un grand feu de bois pour mieux surmonter les caprices de notre temps. Réalisant que le stress était un quitte-santé, je m’en suis éloigné, mais je ne sais pas si j'ai eu entièrement tort de cette précaution.

Je sors du majestueux hôtel et marche d'un pas libre sous les lumières fascinantes de la belle avenue à quatre voies avec terreplein fleuri. Après une cinquantaine de mètres, je m'approche d'un homme en uniforme mais sans arme à qui j’adresse la parole avec du « hello ! Please… » et lui demande ensuite s'il y aurait un restaurant dans le coin. Il me répond « Yes ! » ou « Yeah ! », avec un geste de la main m'invitant à traverser la double chaussée.

Des éclats des musiques du terroir, évidemment séduisants, proviennent de ce lieu animé par des jeux de lumière. Restaurant ? Mais pas le genre qui vous reçoit si vous n’y êtes pas logé ? C’est ce que j’ai cru comprendre puisqu’un gardien m’explique qu’il s’agit d’un hôtel. Un hôtel de vacances ? Je vois des enfants sautiller dans le jardin agrémenté de gadgets dédiés. Il me désigne un autre endroit que j’atteindrai après dix à quinze minutes de marche, explique-t-il, poliment. Je m’exécute en retraversant la grande avenue.

Chemin faisant, surgit un jeune homme à l’allure sportive habillé dans une sorte de combinaison de travail. Quelle est son occupation ? Aimablement, il retire ses écouteurs pour répondre à ma question; la même posée auparavant à mes premiers interlocuteurs. Mon anglais étant en phase de sédentarisation très lente mais encourageante, comme la connexion internet de ma chambre, je l’entends me dire qu’il peut m’y accompagner.

Notre marche dure un assez long moment. En route, quand je ne pige pas grand chose de son anglais plus évolué que le mien, lui qui dit parler aussi l’italien pour avoir été conducteur de taxi au pays des Romains - la vie est merveilleuse quand on bouge de temps en temps- je dis « Yeah ! » ou variablement « Ok ». Je tente de lui apprendre quelque chose en lui disant qu’en français « me », c’est « moi » et que « you », c’est « toi », il reprend à ma suite et nous rions.

Je remarque le bout d’un petit couteau de table dans une petite poche accommodée sur le versant de son épaule gauche. Je ne m’inquiète guère, considérant que s’il s’agit d’un instrument pour sa défense, il ne l’usera que contre un potentiel agresseur qu’il ne trouvera pas chez son compagnon de circonstance ayant à l’égard d’autrui une meilleure idée du vivre-ensemble.

Mais peut-être est-il un amateur de fruits ? Les couteaux peuvent avoir plusieurs vies. Un de nos grands-pères au village utilisait le sien pour extirper la paille de son œil. Pouvais-je penser à Papa Jacques, le beau-père de Suka Ntima chanté par le Super Comirail de Makabana dans les années 1970 ? Coléreux, il dissimulait le sien sous la hanche attendant d’en découdre avec les soupirants de ses jeunes adolescentes. Du tout ! Je me suis dit que l’ami pouvait être maître dans un autre luxueux palace de la ville.

On passe les endroits bruyants, on rencontre des gens allant leur route, on marche en discutaillant, jusqu’à ce que l’on accède à une esplanade si animée qu’à 23 heures passées, la totalité des commerces n’ont pas fermé. Au son de la musique, une déesse parée de malachite exhibe une danse du ventre, les clients attablés à la ronde confèrent, dégustent, s’amusent. Au détour d’un zigzag, nous voici devant un barbecue.

Mon accompagnateur m’a fait ignorer deux ou trois premiers restaurants au service juré trop lent. Nous avons attendu assis près d’une heure chez ces gens qu’il semblait connaître : trop tard pour que j’accepte de souper sur place ; impossible de me faire servir la chicha comme lui qui en prend une ; refus catégorique de sa part que je supporte la facture; même pas une petite canette d’eau. « You are my brother », m’assure-t-il.

Mon sac de provisions en main, nous prenons le chemin de retour à l’hôtel et marchons. Arrivé à destination, il me serre la main et rebrousse chemin. Nous nous sommes promis de nous appeler, nous réjouissant de ce lien fortuit rendu possible, me semble-t-il, par un trait de caractère exposé dans un dépliant racontant le pays des pharaons : là où tout commence. Et Charm-el Cheikh, la ville touristique égyptienne des bords de la mer rouge, serait bien le terme arabe de « la baie du vieil homme sage ». Merci Faqqui !

Gankama N'Siah

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

Notification: 

Non

Le fait du jour : les derniers articles