Devoir de mémoire : 46% des esclaves qui ont peuplé l’actuelle Colombie seraient des esclaves Kongo

Mardi 8 Octobre 2013 - 19:30

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C’est ce qui ressort des recherches menées par l’anthropologue congolais Arsène-Francoeur-Nganga, membre du Centre international de recherches et éducation sur la civilisation Kongo (Cireck) de Brazzaville, retraçant l’histoire des esclaves venus du Kongo qui ont peuplé la Colombie. L’anthropologue congolais a raconté ce devoir de mémoire à l’ouverture du Carnaval de Barranquilla, qui se tient à Brazzaville du 8 au 10 octobre 

Ce carnaval qui se tient dans le cadre de l’intégration culturelle internationale entre le Congo et la Colombie, est une aubaine pour les deux pays d’approfondir les liens séculaires qui unissent la culture des deux pays. Cet événement est ainsi l’occasion toute indiquée de porter à la connaissance des peuples du Congo Brazzaville que dans un passé lointain, la Colombie a reçu des peuples en provenance des terres du Kongo durant la période dite de la Traite négrière.

La présence des Kongo, en terre colombienne, a laissé des empreintes qui demeurent visibles jusqu’à ce jour. Ces empreintes se trouvent sur l’une des pages les plus importantes de l’histoire de l’Amérique latine. Elles forment de ce fait, la plus grande partie de l’identité socio-culturelle des populations afro-colombiennes.

L’anthropologue congolais s’appuie sur l’historienne Enriqueta Vila Vilar’s qui dans son ouvrage intitulé : Hispano America Y El Commercio De esclavos : Los Asientos Portugues, Sevilla, Escuela de Estudios Hispano Américanos 1977, P.148-152, rapporte que les esclaves Kongo ont constitué 46% des esclaves ayant peuplé l’actuelle Colombie, qui abrite la deuxième plus grande population d’Afro-descendants d’Amérique latine (environ 15 millions de personnes). Ces esclaves travaillaient dans les mines d’or où nombre d'entre eux s’évadaient, à cause des conditions de travail. Fugitifs, ces esclaves se cachaient dans l’hinterland ; le plus grand fugitif de la Colombie esclavagiste fut un Kongo du nom de Domingo Bioho qui avait formé une communauté d’esclaves fugitifs (Palenque) en fondant la ville de Matuna en 1526 où il s’autoproclama « roi Benkos ». Il écrasa deux expéditions espagnoles et fut capturé et pendu en 1619. Les survivants de Matuna fondèrent une autre communauté d'esclaves libres à San Basilio, qui devient une République indépendante jusqu’en 1717, l’année où cette République accepta la souveraineté de Carthagène.

Le Palenque de San Basilio, est en effet situé au nord de la Colombie, à 70km au sud du port de Carthagène ; c’est un territoire qui fait la municipalité de Mahates (district de Bolivar), habité par des Afro-Colombiens descendants directs des esclaves africains de la Colombie coloniale, qui ont préservé leurs traditions héréditaires, principalement les pratiques sociales, médicales, religieuses et orales qui ont pour la plupart des racines Kongo. Ils utilisent l’igname et le manioc comme aliments de base.

Arsène-Francoeur-Nganga s’est également référé au linguiste et anthropologue américain Armin Schwegler qui a étudié les populations Afro-Colombiennes du Palenque de San Basilio à travers les survivances linguistiques et religieuses, et les a qualifiés de Kongo. D’ailleurs, le 18 octobre 2007, le New York Times a publié un article sur le Palanquero, la langue créole parlée à San Basilio, et cet article a démontré que le Créole parlé à San Basilio a pour base, le kikongo. Afin de ne pas être contredit dans ses propos, l’anthropologie congolais a cité Clara Ines Chavez, organisatrice du Carnaval de Barranquilla à Brazzaville, qui, dans son intervention au quotidien Les Dépêches de Brazzaville du 20 septembre 2013, a déclaré qu’en Colombie on parle le Kikongo.

En 2008, la directrice de cabinet de la première dame d’Angola, Ana Edite Monteiro, l’historien angolais Simao Souindoula, et le promoteur culturel angolais Antonio Monteiro installé à Bogota, ont visité le Palenque de San Basilio. L’historien angolais a déclaré que le Palenque de San Basilio est une survivance bantu et que le Palenquero, la langue créole parlée par ses habitants, a pour base, le kikongo, kimbundu et ovimbundu. D’ailleurs à San Basilio, lors des veillées funéraires, on retrouve le rite « Lumbalu » en langue du Palenquero, Lu= collectif et umbalu= souvenir, douleur. Ce rite est un dernier au revoir chanté et dansé pour ouvrir au défunt le chemin vers le monde des morts.

Arsène-Francoeur-Nganga a noté aussi qu’à San Basilio, on trouve une école « Escuela batata » qui est une école des anciens, le mot batata étant un mot kikongo qui veut dire « Les anciens ». Cette école enseigne aux jeunes les traditions musicales kongo, comme le « Bullerengué », un rythme rituel, joué lors des cérémonies d’initiations des jeunes. On note également la présence des danses kongo telles que : Si man Congo, Marimbula, Bongo et Timba qui sont des Rumba du Palenque de San Basilio, qui se dansent également lors du Carnaval de Barranquilla. Au cours de ce même carnaval, certains danseurs sont appelés Congos et l'on trouve des chansons comme Le grand Congo, La Danzas Congo, La danse Congo (Tango Congo) et Estatuilma Congo. Les danses Kongo sont les piliers fondamentaux du Carnaval de Barranquilla. Et Martin Orozco Cantillo, de conclure dans Primer Encuentro de investigadore del Carnaval de Barranquilla : Memorias, fondo de publicaciones de la universidad del Atlantico, janvier 1999, que le carnaval de Barranquilla est un ballet de danses Kongo.

Enfin, l’anthropologue congolais a rappelé qu’en 2005, l’espace culturel du Palenque de San Basilio était proclamé chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco, tandis que le carnaval de Barranquilla, la plus ancienne et plus importante fête colombienne, a été inscrite en 2008 au patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco.

 

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

L'anthropologue congolais Arsène-Francoeur-Nganga.©Adiac