Discours de Roland Pourtier, président de l’Académie des sciences d’Outre-mer, lors de l' installation de M. Anatole Collinet Makosso, le 2 juin à Paris

Mardi 6 Juin 2023 - 15:45

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Monsieur le Premier ministre, et désormais confrère, c’est un honneur et un plaisir pour moi de procéder à votre installation. L’Académie des sciences d’Outre-mer vous a élu membre associé au début de l’année, mais bien des signes avant-coureurs ont précédé cette élection, des signes dont on ne reconnaît la prémonition que lorsque l’événement est advenu.

C’est ainsi qu’en mai 2010 vous avez organisé à Brazzaville un colloque international sur « les nouvelles menaces » auquel notre confrère Alain Lamballe a participé. Vous y avez présenté vos réflexions sur « le terrorisme aux portes de l’Afrique », le général Lamballe ayant exprimé les siennes concernant « le terrorisme islamique en Asie du Sud-Est ». Quelques mois plus tard, en août, vous avez soutenu une thèse à l’université Paris II Panthéon-Assas : notre confrère faisait partie de votre jury.

Mais d’autres connexions, aussi improbables qu’elles pussent avoir été, tissent un faisceau de liens qui rendent votre arrivée dans notre compagnie presque naturelle.

Vous êtes né à Pointe-Noire en 1965, ce qui fait de vous le premier Premier ministre né après l’indépendance. Vous avez traversé les périodes agitées de l’histoire du Congo, tout en vous construisant un destin par l’étude et l’expérience des embûches de la vie. La conviction que le savoir est le meilleur des guides pour soi-même et pour le service public ne vous a pas quitté. Vous êtes en plein accord avec l’esprit de l’Académie.

Votre parcours est exemplaire. Les premières années ne furent pas faciles. L’école primaire à Pointe- Noire, le lycée Karl-Marx, redevenu lycée Victor-Augagneur quand le Congo prit ses distances avec l’idéologie marxiste. Je vis moi-même les peintres recouvrir le nom de Loubomo, chef-lieu du Niari, pour peindre à nouveau celui de Dolisie.

Vous avez pris part, dès le lycée, à tous les débats idéologiques qui ont émaillé la vie politique congolaise. Cela ne vous a pas empêché, par la volonté et le travail, de gravir les marches qui, de votre première affectation d’instituteur dans une école du Plateau des 15 ans à Brazzaville vous ont ouvert les portes de l’université Marien-Ngouabi de Brazzaville. Votre doctorat vous a habilité à enseigner le droit : cher confrère, je pourrais dire aussi « cher collègue ».

Dans un livre paru en 2022 à l’Harmattan, « Regard sur Anatole Collinet Makosso », préfacé par Isidore Mvouba, président de l’Assemblée nationale, l’auteur, Joseph Mampouya, retrace ce parcours qui n’est pas sans ressembler, toutes choses égales par ailleurs, à celui de quelques-uns d’entre-nous, dont votre serviteur, hissé de l’Ecole normale d’instituteur jusqu’à une chaire en Sorbonne.

Très tôt vous avez manifesté une réelle attirance pour l’engagement politique. Vous y avez été porté, non pas par intérêt personnel, mais par un attachement profond pour l’humain, selon une éthique mariant humanisme et spiritualité. Vous vous en êtes ouvert dans votre livre, « Droit de regard. Témoignage d’un messager du Congo-Brazzaville », paru en 2005 à L’Harmattan, réflexion sans concession sur les pratiques politiques nationales et internationales.

Lors de la cérémonie anniversaire de l’Académie, au cours de la table ronde consacrée aux enjeux à venir de l’Outre-mer, vous avez choisi trois mots, fidèles à votre pensée comme à votre passé, dont vous souhaiteriez qu’ils imprègnent l’action politique et les relations internationales : solidarité, fraternité, humilité.

Ces mots ne sont pas un simple affichage. Ils correspondent à votre vision et votre conduite, et traduisent l’importance que vous accordez au droit, à la justice.

Votre thèse de doctorat, préparée sous la direction du Professeur Didier Rebut en témoigne. Son intitulé annonce qu’il ne s’agit pas d’une œuvre légère : « Le terrorisme, de l’immunité à l’incrimination : étude juridique d’une violence à réprimer par l’action combinée de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale ».

Vous y montrez l’échec de la manière dont le terrorisme est combattu de nos jours, depuis le 11 septembre 2001, l’impasse de l’approche militaire et sécuritaire.

Vous privilégiez la recherche d’un règlement pacifique, qui devrait s’attaquer, « aux situations que les terroristes exploitent, comme la pauvreté, les irrédentismes et la lutte pour le respect des libertés et des droits », dans la lignée de Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix. « De tels enjeux, dites-vous, ne peuvent trouver leurs solutions que dans les vertus du dialogue, au travers de la négociation, la médiation, les bons offices ».

L’exigence de justice qui vous anime va de pair avec la recherche de la vérité. L’Académie y est très attachée, n’ignorant pas que l’exercice est on ne peut plus difficile. Vous ne vous dérobez pas, même quand les sujets sont délicats.

Votre bibliographie, très abondante, est à cet égard éloquente. Vous êtes un auteur de référence à L’Harmattan, avec une douzaine de titres. Je mentionnerai, paru en 2007, « L’affaire des disparus du beach de Brazzaville. Mise au point pour l’histoire », une affaire douloureuse, toujours très sensible, et « Le génocide en droit à l’épreuve du génocide de l’émotion », en 2019, où vous abordez, en juriste, la question essentielle de la qualification, permettant l’incrimination.

Vos activités sont si nombreuses que j’ai parfois l’impression que vous avez plusieurs vies, tout en réussissant à préserver votre cercle familial. Je salue votre épouse, ici présente, qui vous a toujours soutenu depuis votre mariage en 1992, et avec qui vous avez eu quatre enfants.

Pour être en prise avec l’action immédiate – vous détestez dit-on la procrastination – vous avez fondé en 2007 un cabinet d’analyse de politique africaine, « Géo-économie, géostratégie et géopolitique », plus simplement Géo-Ecostrapol.

Vous êtes à l’origine de deux belles réalisations promues par Géo-Ecostrapol.

D’une part, la mise en place d’Harmattan-Congo-Brazzaville qui élargit les activités de L’Harmattan en faveur des auteurs congolais. Il faut bien préciser Harmattan-Congo-Brazzaville, car il existe aussi Harmattan-RDC. Les deux Congo n’en finissent pas de se partager le même nom, avec toute l’ambiguïté qui en découle, la marque Zaïre n’ayant vécu que le temps de son promoteur.

D’autre part, la création en 2009 de l’Université internationale de Brazzaville, avec pour recteur l’avocat Emmanuel Caullier, connexion importante s’il en est, puisque vous avez suivi ses enseignements au CEDS, Centre d’études diplomatiques et stratégiques, fondé en 1986 par Pascal Chaigneau, membre de notre Académie. Ce n’est pas tout : le secrétaire perpétuel Pierre Gény a signé, le 26 mai, à la Sorbonne, au nom de l’Académie, une convention avec Céline Claverie, directrice d’HEIP-CEDS. Il était écrit qu’entre vous et l’Académie quelque chose se tramait.

Il me reste à évoquer l’essentiel : l’itinéraire qui vous a conduit au poste de Premier ministre, chef du gouvernement. Tout jeune licencié en droit, vous avez été remarqué à Pointe-Noire par Thystère Tchicaya, votre premier mentor. Un temps directeur de cabinet du préfet, vous avez fait la rencontre de la Première dame, Antoinette Sassou N’Guesso, comme vous originaire du Kouilou. Vous serez, pendant de nombreuses années, son directeur de cabinet, en même temps que conseiller du président de la République : vos liens sont anciens et étroits avec le couple présidentiel.

Mais vous n’avez rencontré, selon vos biographes, le président Sassou N’Guesso, qu’en 1997. Je me flatte à cet égard d’une certaine ancienneté, si vous me permettez cette parenthèse incongrue, ayant passé une après-midi entière à Oyo, au début de l’année 1995, une période d’entre-deux qui rendait le maître des lieux accessible. Je me souviens avec émotion du déjeuner au bord de l’Alima, puis de la visite des activités agricoles que l’ex et futur président Sassou N’Guesso entendait promouvoir : nous avons symboliquement planté une bouture de manioc pour illustrer la priorité à donner à l’agriculture afin de préparer l’après-pétrole.

Je me souviens du plaisir qu’il avait à évoquer son enfance, l’importance de l’instituteur notamment. Une histoire de vie, nostalgique et prometteuse, dont « Le manguier, le fleuve et la souris » paru chez JC Lattès en 1997 développe l’argumentaire en ouvrant sur l’avenir. Le mariage de la plume et de l’action distingue décidemment le Congo.

Henri Lopes, lui aussi membre de notre Académie, si longtemps ambassadeur de son pays en France, ne me démentirait pas.

Mais revenons à vous. Votre passion pour l’éducation, la formation des jeunes, condition primordiale du développement humain et de la construction d’une nation prospère, vous a valu d’être appelé en 2011 aux fonctions de ministre de la Jeunesse et de l’Instruction civique puis de ministre de l’Enseignement primaire et secondaire.

Vous avez rempli ces fonctions jusqu’à ce jour de mai 2021 où le président Sassou N’Guesso vous a nommé Premier ministre. Quel parcours et quelle estime pour vous du chef de l’Etat !

Nous mesurons le prix de votre présence car nous savons que votre temps, forcément contraint par une fonction exigeante, laissait peu d’espace pour partager ce moment solennel qu’est l’installation d’un nouvel académicien.

Les valeurs d’humanisme qui sont les vôtres sont celles de l’Académie. Nous vous rejoignons quand vous plaidez pour la solidarité et la fraternité, l’éthique dans les relations internationales, la défense de l’universalisme.

Nous vous suivons quand vous appelez à lutter contre l’oubli collectif, à honorer la mémoire, à enseigner à la jeunesse l’histoire des relations entre la France et ses anciennes colonies pour entretenir une relation franche, sans arrière-pensée, épargnée par un sentiment anti-français qui se manifeste ici ou là, expression non pas d’un désamour, mais d’un mal d’amour.

Sur un registre plus léger, je termine en mentionnant cette coïncidence : un « Abécédaire des expressions amoureuses au Congo » écrit par Bernard N’Kaloulou, est sorti en librairie, très précisément ce 26 mai, comme un clin d’œil à notre dictionnaire des synonymes des mots et expressions des français parlés dans le monde.

Monsieur le Premier ministre, cher confrère, vous êtes ici chez vous.

Vous avez intitulé votre discours d’installation « Panser les plaies d’hier, repenser la paix aujourd’hui pour mieux penser le monde de demain ». Nous avons hâte de vous écouter.

Les Dépêches de Brazzaville

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