Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin 7

Vendredi 19 Mars 2021 - 12:17

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

7 Le monde s’effondre[1]

Aucune des trois colonnes qui volaient au secours de Bèlet et de son chef n’apporta le souffle inattendu que l’espoir procure dans les moments décisifs quand plus rien ne se ressemble à rien. Mbola Okogno’o et ses camarades, certes, atteignirent Bèlet et firent le coup de feu contre l’ennemi, mais, cruellement trahis par la mécanique obsolète de leurs fusils, ils périrent en martyrs dans un champ de maïs. Lorsqu’il comprit qu’il n’arriverait plus à Bèlet, le prince nga’Atsèssè jeta un sort sur les assaillants. Ses imprécations, toutefois, n’eurent aucun effet immédiat sur la tourmente dans laquelle Bèlet se retrouva englué à son réveil. Pétrifiés de stupeur quand ils apprirent la mort du héros, les volontaires des villages Eykassa, Djou’ou, Bèney, Ambombongo, Ngwèney, Pounamwè, Ndongo et Ngossi-Ngossi étaient chacun retournés dans son village sans avoir libérer les poumons du souffle ardent du cri de guerre que chacun d’eux avait espérer pousser face à l’ennemi sur le champ de bataille de Bèlet.

Sur place, la bande à Lados était maîtresse du terrain. L’option de la terreur qu’il fit pour s’emparer de Bèlet mis en évidence la figure déshumanisée de l’homme lorsqu’il devient un loup pour l’homme. En effet, d’un côté, les terroristes français, au nom de la conquête civilisatrice, étaient animés par la folie de tuer tandis que de l’autre côté, les pacifiques villageois mbochis, cueillis au saut du lit par une guerre inattendue, étaient saisis d’effroi à l’idée de se faire tuer sans connaissance du décret de cette mort. Bèlet dont le héros fut mortellement frappé, pour avoir refusé les termes de l’échange à la française, privé de secours, brisé, saccagé, martyrisé et abandonné de sa population s’effondra sans combat. Et comme il fallait s’attendre, cette chute entraîna l’effondrement de tout le format du pays mbochi légué par les ancêtres avec ses hauts et ses bas.

 

Les explosions et la fusillade surprirent les épouses de Mboundjè alors qu’elles n’avaient pas encore atteint leurs champs. Mwengo’o et Koumou furent les premières à réagir, évoquant de mauvais présages, tandis qu’au prise à un sombre pressentiment, Lembo’o resta silencieuse. Mwengo’o, la première des 14 épouses de Mboundjè était aussi la mère de son premier fils Ibara E’Guéndé, c’est-à-dire Ibara l’Imperturbable encore appelé Ibara Kaa’kaa, Ibara le géant à cause de sa haute stature. Depuis, deux semaines Mwengodo était hantée par un cauchemar où son mari apparaissait victime de morsures de plusieurs vipères qui l’attaquaient simultanément. La première fois qu’elle révéla ce cauchemar, on découvrit, sortie de nulle part, une énorme vipère sur le côté latéral gauche de la véranda à palabre. Le maître des lieux était absent du village. La vipère disparut aussi mystérieusement qu’elle était apparue lorsqu’armés de sagaies, les villageois cherchèrent de la tuer.

L’autre épouse, Koumou, dont la fraîcheur du visage rimait avec une voix toute féminine passait pour être la préférée qui partageait souvent le lit avec Mboundjè. Elle évoqua les sommeils agités de son mari, truffés de délires morbides. Elle l’entendait jurer, crier, se plaindre, appeler son défunt père Ombandja, ses camarades d’enfance, son village natal Mboma. Il disait « le temps est proche où le fils d’Ombandja retournera gambader au pied des collines de Mboma ».

Koumou ne put en dire plus : du côté du village couraient affolés, poussant des cris et pleurant, des hommes, des femmes et des enfants qui fuyaient horrifiés.

Mwengo’o, Lembo’o, Koumou et leurs coépouses qui étaient allées aux champs avant l’attaque du village éclatèrent en sanglots lorsqu’elles apprirent la catastrophe qui venait de s’abattre sur la famille et le village. Elles se mirent à se rouler dans les herbes avec des grands gestes de désespoir. Lembo’o se leva, se détacha du groupe et courut droit vers le village. Elle versait des larmes autant sur le triste sort de son époux Itsou m’Inganda que sur celui de sa fille Mwana Okwèmet dont elle était sans nouvelle. Elle entra précipitamment dans le village, courut droit vers la case d’Elenga amba Obala où sa fille était censée se trouver avec d’autres gamines, il n’y avait personne. Elle courut vers son propre domicile qu’elle partageait avec sa mère, la vieille Mwelah qui l’avait rejoint après la mort de Mbongo, son mari, le père de Lembo’o. Il n’y avait ni Mwelah, ni Mwana Okwèmet ! Lembo’o se mit alors à jeter violemment son corps contre le sol, criant et pleurant à chaudes larmes. A quelques mètres de la case de Lembo’o, gisaient dans une mare de sang, les corps sans vie d’Obambé Mboundjè et ses compagnons gardés par un cordon de miliciens aux chéchias rouges.

Lembo’o pleurait, pleurait, pleurait. Elle ne savait pas si son enfant était parmi les victimes de l’invasion de Bèlet, et, si jamais, elle était en vie, où se trouvait-elle ? Le destin et sa chaîne de malheurs qu’elle croyait avoir définitivement exorcisés réapparaissaient subitement avec la mort tragique de son mari et la disparition de sa fille dont elle était sans nouvelle.

 

Dans la case d’Elenga amba Obala, autour du bébé Abandja, le chœur entonnait sa troisième chanson lorsque l’invraisemblable se produisit. Ce fut comme des coups de tonnerre lâché par un ciel en colère. Pétrifié, le chœur s’arrêta, échaudé par les mauvaises nouvelles de la veille. Puis, retentirent juste à côté de la case de violents coups de feu qui dispersèrent, pris de panique, adultes et enfants. Mwana Okwèmet courut droit chez elle espérant trouver sa grand-mère. Au seuil de la case, elle se souvint que la vieille Mwelah avait rendu visite à quelqu’un au quartier Ipanga, loin, à l’opposé du quartier Bèlet où siégeait son père. Dans la cour du village, on courait dans tous les sens, pressé par les coups de feu des miliciens. Mwana Okwèmet se mit aussi à courir en pleurant : elle ne savait pas où aller. Instinctivement, elle suivit le flot des personnes qui fuyaient Bèlet par le chemin qui mène au village Ngyèlakomo. Le fétiche Okwèmet censé la protéger lui vint en aide. En effet, une dame appelée Mwakoumba dont le mari était au service d’Obambé Mboundjè se trouvait avec ses quatre enfants dans la cohue des fuyards, sur le chemin de l’exode. Elle prit Mwana Okwèmet sous son aile et l’emmena à Eygnami, loin, très loin de Bèlet où, vainqueurs de la vie, les anges de la mort avaient élu domicile. (à suivre)

 

 

[1] Le second épisode portait le même titre par erreur. Cet épisode devait plutôt s’intituler :

Les annonces de Guyonnet.

Ikkia Ondai Akiera

Notification: 

Non