Littérature : Fiston Nasser Mwanza signe son premier roman

Samedi 14 Mars 2015 - 9:00

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Tram 83 : un titre qui compte parmi les très belles surprises de la rentrée littéraire 2014. C'est le premier roman de Fiston Nasser Mwanza publié aux éditions du Métailié à Paris. Un chef d’oeuvre étonnant qui révèle une plume sensible, original qui au travers d’un tripot quelque part dans une ville minière d’Afrique centrale, plonge son lecteur dans l’âme d’un peuple soumis à de multiples contraintes. Fiston Mwanza Mujila a accepté de répondre à nos questions.

Fiston Mwanza Mujila, c’est avec  beaucoup de plaisir que nous souhaitons vous interroger après lecture de ce magnifique roman intitulé Tram 83 paru aux éditions du Métailié. Avant d’aborder le contenu de ce roman, nous voulons avant tout revenir sur la très longue gestation de ce projet. Pouvez-vous revenir sur ce parcours ? Trouver un éditeur a semblé être un véritable chemin de la croix pour publier Tram 83. Comment expliquez-vous cela?

Il est difficile pour un « jeune » auteur- qu’il soit Congolais, Français ou Italien- d’accéder facilement à la publication. Le monde de l’édition possède son propre système de fonctionnement. Les éditeurs publient, il me semble, plus promptement les valeurs sûres. Quant au Tram 83, après avoir essayé quelques refus, j’avais tourné la page. Je n’étais pas forcément dans l’urgence de publier comme ma carrière de poète, de nouvelliste et de dramaturge apportait du vin rouge à mon moulin. 

Sur le plan de l’écriture aussi, votre travail a été laborieux. Pouvez-nous parler de ce travail de création originale?

Tram 83 est une fantaisie, au sens musical du terme. Une composition de forme  hétérogène.  J’ai trempé ma langue de poète, de nouvelliste ou de dramaturge dans mes caprices  d’amateur de jazz, de la peinture populaire, de la valse et de la rumba congolaise. Il me plaisait de concevoir la narration comme une archéologie personnelle. J’avais envie de mettre en lumière les énergies qui traînaient dans mon ventre.

La toile de fond de votre roman est une ville minière qui pourrait laisser penser aux grandes villes minières du Sud-Est de la République démocratique du Congo. On pense naturellement à Lubumbashi où vous avez été étudiant. Vous parlez d’ailleurs de Ville-pays. Pouvez-vous revenir sur ce concept ? Pourquoi ville-pays qui d’ailleurs est en opposition avec arrière-pays ?

La Ville-Pays est une bourgade qui prend conscience de son opulence et qui se déclare pays à part entière. Elle estime qu’elle n’a pas le temps de moisir dans un pays minable alors qu’elle grouille de toutes les pierres. Elle est en contradiction non seulement avec l’arrière-pays mais aussi le monde. Je voulais repenser la globalisation s’envisageant souvent comme les mouvements de population de l’Afrique vers l’Europe alors que certains trous perdus du continent accueillent des populations de toutes les nationalités ou s’inscrivent, par leurs pierres, dans l’économie mondiale.

Parlez-nous de cette ville-pays. Dans son organisation, la loi de la jungle qui y règne fait penser aux grandes villes du Far West américain. Est-ce une référence culturelle et historique qui vous parle ? Peut-on tracer des parallèles entre la conquête de l’Ouest américain et de son or et celui de l’Est de la RDC avec son coltan, son cuivre et ses diamants ?

Le terme «est du Congo » est un euphémisme. C’est tout le pays qui se délabre... Le Congo est un Far West tropical à la seule différence que nos dégâts sont énormes : plus de six millions de morts depuis 1998, des rebellions poussant tels des champignons… Tout se passe comme si nous étions à l’époque de la Conférence de Berlin- appelé à juste titre « Kongokonferenz », la Conférence du Congo- dont les clauses définissaient le Congo comme un territoire libre circulation et de commerce.

Autour de Lucien, le personnage narrateur, un jeune écrivain quelque peu idéaliste, il y a un nombre impressionnant de personnages, mais nous avons envie de souligner que le personnage dominant est le Tram 83, une sorte de saloon des temps modernes. C’est à la fois un lieu de communion pour toutes les classes, sous-classes, aventuriers, investisseurs de la ville. Vous décrivez ce Tram 83 avec beaucoup d’amour. Que représente-t-il pour vous et que dit-il de votre pays à savoir : la RDC ?

Tram 83 est une ode à la vie congolaise…

Une des caractéristiques de ce livre est aussi dans une forme d’écriture particulièrement originale alliant à la fois le prose, un discours théâtralisé et de la poésie. C’est un objet atypique. Était-ce la manière la plus simple pour écrire sur cette ville, sur ce pays ?

Tram 83 résulte de l’impossibilité de saisir le Congo. Dans ce pays, le juste milieu n’existe pas. On est toujours dans l’excès, la démesure, le paradoxe, l’incohérence poétique… Il me fallait cette langue vorace, à l’image du fleuve qui se suicide dans l’océan ou de la valse à onze temps, pour dire le pays dans sa splendeur de paradis bâclé.

Comme dans le roman d’In Koli Jean Bofane, votre roman fait toucher du doigt à la fois la violence d’un monde hyper connecté et mondialisé que cristallise cette ville-pays. Une ville potentiellement riche où la misère morale, spirituelle et matérielle sont prenantes. Votre personnage narrateur très vertueux ressemble à Don Quichotte se battant contre des éoliennes. Est-ce votre propos?

Lucien est resté fidèle à lui-même. Il signifie que les « justes »  ne manqueront jamais même il n’y aura point deux déluges successifs, même si Noé ne viendra pas une seconde fois, même si on ne fera plus entrer dans l’arche les couples de tous les animaux purs, le mâle et la femelle…

Vous parlez de littérature locomotive et en même temps, dans une émission littéraire sur Sud Plateau TV, vous soulignez le fait que la poésie ne sauvera pas le monde. Dans ce cas, qu’entendez-vous par littérature locomotive ?

Tous les moyens à préconiser pour sortir la littérature du papier, de son confort habituel, de sa cathédrale, de sa démangeaison, de sa bave, de sa syphilis, de sa malaria, de sa dysenterie, de sa maladie du sommeil… quitte à aboyer le texte en fond sonore les bruitages d’un train-marchandise. Imaginez-moi : sale, lugubre, en état de diarrhée, torse et pieds nus, dans les rues de Kinshasa ou de Graz, d’Odessa ou de Luanda, en train de vociférer des passages de Tram 83 ou de n’importe quel livre.

Pour terminer cette interview, pouvez-vous proposer à nos lecteurs trois romans incontournables selon vous.

Cents ans de solitude de Gabriel Garcias Marquez, Le monde s’effondre de Chinua Achebe, Le Tambour de Günter Grass… 

 

 

 

Propos recueillis LaRéus Gangoueus

Légendes et crédits photo : 

Fiston Nasser Mwanza; (Crédits photo: DR)