Les Dépêches de Brazzaville : Vous célébrez les dix ans d’existence du festival. Quel est votre ressenti sur son parcours ?
Pierre Claver Mabiala : Aujourd’hui N'sangu Ndji-Ndji, favorisant la diffusion du spectacle vivant, le développement des carrières artistes et la mise en valeur des jeunes talents, veut, à travers la musique et les arts, renforcer le dialogue des cultures, la diversité culturelle en mettant en valeur les différentes identités culturelles. La cohésion sociale passe par cette façon de voir les choses.
Ismaël Lô du Sénégal, Freddy Massamba et Saintrick du Congo, Naneth du Gabon, sont à l’affiche de cette édition. Chacun de ses artistes viennent d’horizons très différents. Quel a été le fil directeur des choix de votre programmation 2014 ? Comment avez-vous choisi les artistes ?
Pour les dix ans, on voulait faire la fête, mais aussi on voulait marquer l’histoire et les esprits des gens. Comme chaque année, on a besoin d’un grand frère ou d’une grande sœur pour soutenir les jeunes. Notre choix est tombé sur Ismaël Lô car c’est un grand monsieur, un grand artiste, un grand Africain, et il a des choses à dire aux jeunes, c’est un modèle. Puis, on s’est dit que pour les dix ans il fallait reconnaître qu’il y a des fils du pays qui font de bonnes choses ailleurs, comme on dit. Des gars qui se comportent très bien sur la scène internationale, mais très peu présents au pays. On a donc pensé à Fredy Massamba et Saintrick. Pour les dix ans, on voulait présenter, comme à l’église, des témoignages. On a voulu marquer les esprits en disant qu’on avait aussi favorisé les échanges entre artistes. On a invité le duo Maryse et Jean Rémy (RDC/France) qui se sont rencontrés lors de l’édition 2011 de N’sangu Ndji-Ndji à Pointe-Noire puis s’en est suivie une très bonne collaboration artistique avec beaucoup de concerts en Afrique et ailleurs. Et enfin, la place que notre programmation accorde aux jeunes en développement d’Afrique : Naneth et Queen Koumb du Gabon, Armand Biyag du Cameroun, Huguembo de la RDC Frederick Samara du Tchad.
Les musiques populaires congolaises y trouvent-elles aussi leur place ?
Oui, toutes les musiques ont une place dans notre festival, pourvu qu’elles soient porteuses des valeurs identitaires de notre pays et de l’Afrique. Qu’elles soient propres, pas obscènes.
Dans une Afrique francophone qui peine à avoir de solides et cohérentes politiques de soutien aux créateurs, que peut apporter aux artistes africains un festival comme le vôtre ?
Il faut plutôt dire « dans un pays comme le nôtre ou dans une Afrique centrale »… Toute l’Afrique francophone n’est pas dans cette situation. Nous, au Congo-Brazza, nous sommes les derniers dans le soutien à la culture. N’sangu Ndji-Ndji veut apporter aux artistes de l’espoir, en leur disant qu’on peut grandir avec ses propres efforts. Qu’il faut résister et lutter sans cesse. Et aussi un espace très convivial pour des échanges, pour la diffusion du spectacle.
Que pensez-vous du succès de la nouvelle vague d’artistes nigérians et ghanéens au Congo ?
Ce n’est pas mauvais de consommer aussi ce qui vient d’ailleurs. C’est une ouverture. Mais, que cela nous serve aussi d’exemple pour créer des conditions de positionnement de nos produits, de nos artistes, de nos propositions artistiques… Mais là aussi, je m’adresse aux politiques, car les artistes et les acteurs culturels font déjà assez. C’est d’ailleurs grâce à ces derniers que notre culture et nos arts résistent encore sur la scène internationale. Ce n’est que de l’initiative privée, la volonté publique traîne les pieds, on ne sait pas pourquoi…
Le niveau de cette nouvelle vague d’artistes d’Afrique anglophone est-il comparable à celui de leurs contemporains d’Afrique francophone ?
Il ne faut pas se tromper, on a les mêmes niveaux, il existe même des disciplines artistiques pour lesquelles on est les meilleurs. Mais comment savoir et comment faire comprendre cela au monde ? Eux, les anglophones, ils ont des outils pour avancer, ils ont l’accompagnement, ils ont les moyens pour se positionner et pour mieux communiquer…
Et la musique congolaise dans tout ça, arrive-t-elle, selon vous, encore à trouver sa place dans les grands débats des musiques du monde ?
Nous avons tellement marqué l’histoire de la musique africaine qu’on ne peut pas s’effacer subitement. Mais, vous avez raison de poser cette question. Si les choses ne changent pas au niveau de la vision politique de soutien et d’accompagnement de la culture et des arts au Congo, notre musique, nos créations artistiques manqueront de dynamisme et de compétitivité. On va nous oublier… Mais je me dis que les politiques ne seront pas aussi criminels, les solutions seront apportées….
Comment expliquez-vous votre attachement et votre engagement à la culture ?
J’aime mon pays, j’aime ma culture, j’aime mon art, et j’aime tout ce qui fait de moi loango, congolais. Et faire l’art dans les quartiers pour le bien et le bonheur des gens abandonnés à leur propre sort, c’est une vraie raison de bien me sentir artiste et acteur culturel.
Après dix ans de festival, l’épineuse question du manque de financement des festivals en Afrique se pose-t-elle encore à vous ?
Énormément, il nous manque encore les moyens pour réussir notre rêve. Je ne sais pas comment on y arrive. En fait, ce qui nous manque, c’est l’apport des pouvoir publics…
Que peut-on vous souhaiter pour cette nouvelle édition ?
L’attention et le soutien financier enfin du ministère de la Culture et des Arts !