Musique : les Tambours de Brazza joueront bien au Congo à l'appel des productions locales

Samedi 1 Mars 2014 - 2:15

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Petit-fils du défunt cardinal Émile Biayenda, dont il a hérité le nom, sa propension familiale le disposait à devenir prélat, comme ses frères et son oncle, car il dit « en avoir les germes dans le sang », mais c’est sur la scène musicale qu'Émile récite ses litanies. Ce quadragénaire est à la tête du groupe culte les  Tambours de Brazza dont il fut le fondateur en 1991. Ce groupe tourne dans de grands festivals en Europe et en Amérique

Les Dépêches de Brazzaville : Peut-on savoir les raisons de votre venue au Congo ?
Émile Biayenda : La raison de ma venue ici relève dans un premier temps du caractère privé. Et dans un deuxième temps, il y a un côté artistique parce que il y a un an, à l’occasion de  la soirtie de l’album Sur la route des caravanes on avait commencé un travail avec une équipe de réalisateurs pour faire un reportage sur le voyage du tam-tam, c’est-à-dire cet arbre qui a poussé un jour dans une forêt et qui par la magie du temps et des hommes s’est retrouvé à parcourir le monde sous la forme d'un tam-tam. On veut retracer cette histoire au travers de laquelle se greffe l’histoire du groupe Les Tambours de Brazza et mon histoire personnelle. Il s’agit d’aller à la rencontre des personnes et des lieux qui, d’une manière ou d’une autre, ont participé à notre aventure. Mon voyage est motivé par ce film sur la musique et sur le tambour.

Quels sont ces lieux et ces personnes ?
Ici, à l’église Saint-Pierre-Claver de Bacongo, parce c’est le lieu où j’ai commencé avec la musique dans le mouvement religieux Les Amis de Dominique Savio. Ce sont des endroits comme le foyer Abraham et le cercle Sony-Labou-Tansi de Bacongo. Je n’oublie pas l’Institut français. Ce matin, nous partons à Mindouli pour rencontrer des lieux et des personnes qui m’ont vu venir à l’art et m’ont encouragé par leurs conseils.

Quelles sont les personnalités musicales qui vous ont inspiré ?
J’écoute beaucoup des anciens comme le Grand Kallé, les Bantous de la capitale, Fella Kuti, Franco, en passant par Antoine Moundanda, Papa Kourand, et bien d’autres. Parce que leurs musiques parlent, quoique n’ayant pas bénéficié de la technologie de qualité comme nous, aujourd’hui. Aussi ai-je l’habitude d’écouter Rihanna et bien d’autres artistes aux influences  et styles différents.

Votre musique est très éclectique du point de vue des influences
Oui, ma musique connaît beaucoup d’orientations et d'influences, car  en dehors des Tambours de Brazza, je fais partie d’un groupe de jazz. La musique de ndombolo, je la fais en studio, parce que j’ai un principe : je ne livre pas de musique dans un bar, un endroit où les gens boivent et dansent et parce que, généralement, cela se termine par des bagarres. Je fais de la musique pour que les gens viennent écouter, rêver un peu, oublier les tracasseries quotidiennes.

Racontez-nous votre passion pour le tambour…
J’étais batteur dans  la chorale de ma paroisse. Par ailleurs, n’ayant pas été dans les ballets traditionnels de la musique, j’ai une écoute très éclectique du tam-tam. Car dans les milieux des ballets traditionnels, il fallait chauffer le tam-tam et le faire résonner des heures durant. Aussi les batteurs étaient-ils à l’arrière plan de la scène, laissant le premier plan aux danseurs. Dans ma vision il fallait figer le rythme, c’est-à-dire donner une identité à chaque rythme de façon à en percevoir l’origine. Ainsi, lorsqu’on joue le rythme nzobi, l’auditeur se retrouve grâce à la résonnance de la partition. Et c’est autant pour tous les autres rythmes entres autres, bembé, kongo, mbéti, etc. J’ai apporté cette variante des appels, des breaks ou introductions pour permettre que nos musiques soient récupérées même par les médias. Parce qu’en fonction de la durée de nos musiques, parfois toute la nuit, le calibrage est assez malaisé pour des arrangements surtout dans les médias. Et pour ce faire, j’ai emprunté à la musique jazz parce qu’elle a un cycle musical très particulier, mais également il fallait connaître nos codes traditionnels de la musique grâce à nos anciens.

Quel rapport existe-t-il entre le tambour et La Route  des caravanes, le titre de votre dernier album ?
La Route des caravanes n’est pas ce que la plupart des gens pensent, c’est-à-dire le désert, les chameaux, etc. Il y a quatre ans, en Guadeloupe, j’ai fait la rencontre d’une famille congolaise, une famille kongo qui m’a montré deux photographies dont l’une était prise au marché Tâ-Nkéoua où l’on voyait un arbre qu’on appelle nsanda en Kongo, sur lequel était gravé une plaque portant l’inscription suivante : Ici passait la route des caravanes. C’est mon premier point de départ, et le second se rapporte à l’histoire de Tippo Tip, ce marchand d'épices et d'esclaves qui faisait la navette entre Tombouctou et Zanzibar jusqu’à Pointe-Noire et en RDC. Je ne rentre pas dans l’histoire complexe de la traite négrière, car ceux qui en ont la charge la défendent bien. En tant qu'artiste, je parcours en imagination ces lieux géographiques chargés d’histoire comme un esclave, me posant la question de savoir quelle musique j'écouterais durant un périple aux États-Unis, en Europe et partout ailleurs ? Je le présente comme une sorte de fresque cinématographique. Le premier morceau s’appelle Zanzibar, et le dernier Song of Hope ce qui signifie chant de l’espoir en anglais. Pour montrer toujours le côté positif de l’Afrique, au lieu de s’attarder  seulement  sur des clichés de la faim et de la soif, voire de la guerre, qui plaît beaucoup à la presse charognarde, comme je l’appelle. Le vautour ne se déplace pas n’importe comment. Si tu aperçois un vol de vautours, c’est qu’il y a du cadavre quelque part.  Le tube Zanzibar  est conçu comme le blues, cette musique qui a permis aux esclaves de tenir. C’est une espèce de chant plaintif. Sur la route des caravanes est le cheminement ou le voyage du tam-tam, ngoma en langue lari, qui, parti de Brazzaville, a rencontré une guitare basse, une violoncelle, un piano, un accordéon et bien d’autres d’instruments de musique. C’est en même temps l’entité ngoma que l’on met au centre.

À quand un concert du groupe Les Tambours de Brazza à Brazzaville ?
C’est la grande question. Parti du Congo en 1999 d’abord pour Cotonou au Bénin, en 2000 le groupe Les Tambours de Brazza s’est installé en France. Le groupe collabore avec le milieu privé, ce qui nous a permis de toucher d’autres publics européens, américains et d’être assez présents dans différents festivals, que ce soit raggae, rock, punk et jazz. Il faut du sponsor. Les collaborateurs du groupe les Tambours de Brazza investissent beaucoup en Amérique du Sud ou en Amérique du Nord et en Europe, mais hésiteraient à venir au Congo parce qu’ils ne connaissent pas la manière de fonctionner des institutions congolaises. Cela dit, pour pouvoir nous produire au Congo, il nous faut des collaborations solides avec des structures ou des productions locales.

À combien peut être chiffré le cachet du groupe Les Tambours de Brazza ?
Le problème, ce n’est pas l’argent. C’est d’abord un symbole fort pour son pays, mais à condition  que je vienne avec toute mon équipe pour une prestation de qualité et mémorable. Ce sera en plus pour nos jeunes l’occasion de faire des formations.

Quels sont vos projets pour  la ville de Brazzaville distinguée ville créative de musique par l’Unesco ?
Je suis  très fier de cette distinction et je salue au passage ceux qui ont défendu ce projet. J’ai l’ambition de créer un centre de formation de musique pour apprendre aux jeunes talents les finesses de la musique. Je suis désolé de constater que quoique disposant d'un grand festival de musique et de beaucoup de groupes musicaux, aucun d’eux n’émerge dans de grands rassemblements, de grands festivals comme Les Vieilles Charues, les Paléoniocs, et autres. Nous sommes quasiment les seuls à y être présents, sans orgueil.

Propos recueillis par Roll Mbemba