Interview. Dieter Van Hassel : « Ouvrir au maximum les collections au public, c’est notre objectif »

Samedi 1 Février 2020 - 18:31

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L’archiviste employé au Musée royal d’Afrique centrale (MRAC) depuis 12 ans trouve son bonheur à digitaliser les collections et les mettre à la portée de tous. Au Courrier de Kinshasa, il fait mention du prochain site qui sera mis en route cette année Collections.Africamuseum.be censé venir en renfort à une nouvelle base de données lancée l’an dernier consacrée aux Archives.Africamuseum.be. Quant à la digitalisation, cette tâche titanesque réalisée en amont avec une équipe de sept collaborateurs, elle devrait encore se poursuivre sur quelque vingt bonnes années.

 L’archiviste Dieter Van Hassel (DR)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : De quelle manière devrait-on vous présenter à nos lecteurs  ?

Dieter Van Hassel (D.V.H.) : Je suis Dieter Van Hassel, je travaille ici au Musée royal d’Afrique centrale (MRAC) depuis 2007. Je suis historien, mais j’ai obtenu un second master en gestion d’archives et du patrimoine. C’est ainsi que je m’occupe des archives et de la numérisation des collections des sciences humaines. Il faut comprendre la numérisation dans un sens assez large car il ne s’agit pas seulement de numériser en prenant les photos ou faisant des scans des objets. Il s’agit aussi de les enregistrer dans la base de données de façon homogène et structurée afin de les rendre accessibles à un plus large public possible.

L.C.K. : Pourrait-on connaître ce que représente la part de la RDC dans le lot des archives que vous numérisez  ?

D.V.H. : Je pense que la plus grande partie de nos archives concerne le Congo, la RDC. Même si nous sommes le musée de l’Afrique centrale, il n’en reste pas moins que 80% de nos archives, de nos collections viennent de la RDC. Les collections d’objets, les archives, les photos y compris.   

L.C.K. : Quel est le domaine le plus documenté des archives issues du Congo ?

D.V.H. : Le plus documenté est composé des objets phares, ce sont surtout les archives de Stanley les mieux connus, les mieux décrits dont l’inventaire est assez précis et bien établi. Dans les collections, il y a des objets phares que tout le monde aime, par exemple les masques qui sont très bien décrits. Mais nous avons aussi eu certains projets de numérisation et de digitalisation concentrés sur un type d’objets très spécifiques à l’instar des instruments de musique. Nous avons eu le projet Mimo (Musical instruments museums online) avec onze partenaires européens pour la numérisation des collections des instruments de musique. Le MRAC était le plus grand partenaire de ce consortium dont les neuf mille instruments sont très bien décrits. Donc, cela dépend, mais il y a des collections phares comme celle des instruments de musique qui sont assez précis, très bien décrits ici au MRAC. C’est notre but de décrire et d’ouvrir le tout au public. Vu la masse des objets : 9 000 instruments de musique, mais aussi 120 000 à 130 000 objets ethnographiques, plus ou moins 3 km d’archives et ensuite environ 500 000 photos, donc cela prend un certain temps pour numériser et décrire toutes ces collections. C’est un working process, un travail en cours qui va encore continuer pendant au moins vingt ans. Nous ouvrons les collections chaque jour. Nous avons une équipe qui est à la fois grande et pas assez grande, composée pour l’instant de six à sept collaborateurs. Nous pouvons faire beaucoup mais s’il faut considérer la quantité des objets, notamment les 500 000 photos, même avec une équipe de vingt personnes, cela prendra des années de travail.

L.C.K. : Pourriez-vous nous spécifier sur quoi les archives récoltées par Stanley portent essentiellement  ?

D.V.H. : Nous n’avons presque pas d’archives officielles, des administrations officielles du Congo belge. Celles que nous avons sont surtout des archives privées, de personnes et des entreprises mais aussi parfois des documents légaux, des journaux, des récits de voyage, des lettres, etc. La masse de nos archives est très hétéroclite, nous avons un peu de tout. Des archives de missionnaires, des documents privés des agents territoriaux, des entreprises de chemin de fer, etc. Je pense qu’il est possible de trouver de la documentation pour plusieurs sujets de recherche dans nos archives.

L.C.K. : Toutes les archives numérisées sont-elles déjà disponibles pour le public ?

D.V.H. : Partiellement. L’année 2019, nous avons lancé la nouvelle base de données Archives.Africamuseum.be, c’est une plateforme qui comprend toutes les archives, les notices descriptives de nos archives historiques. Cela fait plus ou moins entre 900 et 1 000 descriptions de fonds d’archives dans cette base de données et l’on y ajoute chaque inventaire que nous faisons. Elle est déjà assez large et disponible. En 2020, nous pensons publier les copies  numériques, les archives numérisées qui pourront être consultées par les internautes, visiteurs et chercheurs n’importe où Online. Mais, pour le faire, nous sommes limités par les questions d’ordre légal car tout ne peut pas être publié Online à cause des droits d’auteurs. Nous voulons publier tout ce qui est libre de droits, qui est du domaine public. Et en ce qui concerne les collections, nous sommes en train de créer un nouveau site, ce sera Collections.Africamuseum.be dans l’objectif d’ouvrir au maximum les collections au public. Mais il se pose de nouveau les questions de droits d’auteurs et du temps qu’il faut pour nettoyer les données. Cela revient à dire homogénéiser, standardiser les mots-clés utilisés pour décrire les objets. Nous ne voulons plus utiliser les termes comme « fétiche » ou même « localité », « Léopoldville » ou « Albertville » parce que les archives sont décrites ainsi dans les anciennes fiches. L’une de nos tâches est de réaménager toutes ces données selon le contexte actuel.

L.C.K. : Comment faites-vous pour la classification des photos qui constituent un important lot dans vos archives  ?Eline donne un aperçu des collections des photos du MRAC dont les plaques en verre (Adiac)

D.V.H. : Elles ne le sont pas vraiment, si c’est le cas, elle est fonction du classement de l’époque, telles qu’elles ont été reçues au MRAC. Nous n’avons pas un classement nous-mêmes car elles sont datées. Les photos sont parfois collées sur une fiche avec les métadonnées : description, lieu, date et photographe. Nous prenons chaque fiche et nous la digitalisons dans la base de données sans vraiment y adjoindre un classement spécifique, thématique. Les mots dans la description initiale, les photographes, les endroits ou les personnes qui sont sur les photos sont les éléments les plus importants pour nous. Nous avons parfois hérité des anciennes collections assez grandes avec un classement d’époque, nous appliquons toujours le respect du fonds.

L.C.K. : Dans le lot des 500 000 photos, la majorité des tirages sont d’époque en noir- blanc, sont-ils toujours utilisables et en bon état ?

D.V.H. : Oui, je n’ai pas les chiffres exacts, mais ce doit être les 80%. Mais encore, dans ces photos noir et blanc d’époque l’on retrouve toutes sortes de supports. Il y a les plaques en verre, les négatifs ou positifs sur films, les tirages en papier dont certains sont collés sur des fiches. Il ne s’agit pas uniquement de tirages sur papiers que l’on connaît. Par ailleurs, si possible, nous revenons toujours aux négatifs car, pour les tirages de l’époque, l’on n’avait pas utilisé les bons produits chimiques pour le développement des photos. Il y a beaucoup plus de détails dans les négatifs et pour la numérisation, nous préférons les utiliser comme support d’origine pour obtenir un meilleur résultat.

L.C.K. : Toute personne intéressée par une photo ou une autre peut-elle procéder à un tirage  ?

D.V.H. : Pour l’instant, non.  Il faut tenir compte de la question des droits d’auteurs. Pour la plupart, il ne s’est pas encore écoulé 70 ans depuis le décès des photographes. La loi sur les droits d’auteurs en Belgique stipule qu’un institut de recherches comme le MRAC peut numériser ses collections mais que les copies numériques ne peuvent être consultées que in situ. Donc, nous avons des ordinateurs dans la bibliothèque sur lesquels les visiteurs peuvent consulter les bases de données, nous ne pouvons pas les publier sur Internet à cause des droits d’auteurs. Si une demande est faite, on vérifie si c’est pour un usage privé, une recherche personnelle, l’on donne une copie gratuite. Mais dans le cas d’une publication si l’on fait face aux droits d’auteurs, nous nous adressons d’abord aux ayants droit ou les agences qui gèrent les droits des photographes. Si c’est possible ou non de l’accorder. Et, pour le prochain site web nous devons revoir nos conditions d’accès aux archives numérisées. Tout ce qui est du domaine public sera publié dans le site, le problème ne se pose pas à ce niveau.

L.C.K. : Le MRAC continue-t-il à recevoir des photos toutes ces dernières années  ?

D.V.H. : Oui, nous recevons encore une dizaine de photos de collection par an de la part de la génération des derniers coloniaux qui vieillissent et commencent à mourir. Les enfants, les petits-enfants n’y trouvent plus beaucoup d’intérêt. Pour plusieurs, c’est juste des vieux papiers, des vieilles photos.  

L.C.K. : Qu’est-ce qu’un archiviste comme vous trouve de passionnant dans les archives du MRAC  ?

D.V.H. : Ma passion est d’ouvrir les collections et les rendre disponibles au public, de sorte que les historiens du Congo et de l’Afrique centrale puissent y tirer ce qui les intéresse. La richesse des collections du MRAC est une merveille. Nous avons tout ici : objets, archives, enregistrements sonores, films. C’est un défi pour moi d’avoir tout cela à portée de main et de l’ouvrir à n’importe quel public de manière moderne avec toutes les technologies possibles qu’offrent le XXIe siècle. C’est cela qui me passionne.  

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : L’archiviste Dieter Van Hassel (DR) Photo 2 : Eline donne un aperçu des collections des photos du MRAC dont les plaques en verre (Adiac)

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