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Une icône s’est éteinte

Jeudi 24 Septembre 2015 - 13:42

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Beau-Saccot Sophie est son nom. Ma Sophie, Ya Sophie, la sœur Sophie, bola (pour Issambo Louis, Jacques Yhomby-Opango, Denis Sassou-N’Guesso, Jean Marie Ewengué) sont autant de raccourcis affectueux pour la nommer.

Sa mort, vendredi 18 septembre dernier, est le signe et le symbole d’un monde qui inexorablement disparaît, celui de la convivialité citoyenne et de l’agapè, dont Poto-Poto fut longtemps le parangon, un exemple achevé du vivre ensemble harmonieux.

C’était ma mère, mais elle ne m’appartenait plus. C’était la mère de tous les gamins du petit village palindromique de Poto-Poto. Née à Brazzaville le 29 septembre 1933, 1934 à l’État-civil, Maman y a vécu toute sa vie ; à Poto-Poto, puis au Plateau des 15 ans. C’est « une enfant de Poto-Poto », pour reprendre cette expression canonisée, inscrite dans le marbre par un autre enfant de Poto-Poto, Henri Lopès. Un typhon d’émotion s’est abattu sur Poto-Poto et Brazzaville, dès l’annonce de son décès. Sophie Beau-Saccot était « une icône de Poto-Poto », pour reprendre les termes de mon frère Henri Ossebi. Elle rejoint dans l’éternité, Peya Ledongo, Marie Kazaka, Henriette Ebiahou, mais aussi, Ma Gaby, Salabanzi, Mapela, autres icônes de Poto-Poto, immortalisées dans une chanson de feu Roland Bienvenu Faignond. Nos mamans qui poursuivent avec nous la turbulente traversée de la vie, Catherine Koumou, les veuves Mamaty, Kouka et Ikonga, et toutes les autres, sont éplorées, inconsolables et plongées dans une insondable tristesse.

Maman, très tôt lancée dans les affaires, était devenue, à la force du poignet, une femme d’affaires prospère qui a élevé avec passion et dévouement ses sœurs Julie et Mokassa ainsi que les enfants, Patricia, Nick, Nono, Cathy, Amina, Olivier, Stève Davy, Stella, moi-même, et, au-delà de la consanguinité, Jean-Jacques et Mélanie Yhomby, mon petit-frère et ma petite sœur. D’autres enfants de Poto-Poto ont bénéficié de la même attention de sa part, Jean-Michel Mbono, Nkou Désiré, mes aînés et Aka Evy. Elle avait le cœur sur la main. Sa vie, dans son ensemble peut être considérée comme une constante élévation. Elle incarne l’exemple d’une vie réussie. Son nom est intimement lié à celui de sa maman, Embélé Louise, Ma Loussa, pour les enfants de Poto-Poto, et ils sont nombreux. De ses beignets succulents, certains comme Rodis Lekoba, Emerson Elenga, Redsy Opimbat, Olero, Jean Bérille, entre autres, parlent avec des trémolos dans la voix. L’image de Ma Loussa nous renvoie tous à cette époque insouciante de notre passé commun qu’elle illuminait de sa bonhomie.

Maman avait une renommée bien établie à Poto-poto et à Brazzaville, d’une manière générale. Première femme présidente d’un club de football, son débit de boisson de la rue Bacongo à Poto-Poto était le lieu de la troisième de l’équipe Étoile du Congo. Elle avait réussi à faire de « sa buvette » comme on disait à l’époque, un lieu sélect. « Au bon vieux temps », comme disait Boris Vian, toute l’élite congolaise s’y retrouvait dans ce qu’elle appelait « Le Club » dans lequel les tribus avaient pour noms, Étoile du Congo, Renaissance Aiglons Cara, Diables Noirs pour les amateurs de football et, African Jazz, Ok Jazz, Cercul Jazz, Negro Band ou Bantous de la capitale. Cet ordonnancement fut brièvement chamboulé par l’arrivée de l’orchestre Tembo. Ces équipes et ces orchestres fondaient les affinités et les accointances. Mais comme toujours, les enfants de Poto-Poto, mus par ce que l’on appelle « l’esprit de Poto-Poto » savaient s’abstraire de ces hobbys pour être simplement une véritable fratrie. Ce club était composé de personnalités dont certaines, dans leur cheminement professionnel, ont eu des destins exceptionnels : Jacques Yhomby, Denis Sassou, Roger Molouba, Popol Kouma, Oscar Samba, Kader Diawara, Jean-Michel Ebaka, Babackas, Taholien, Bokamba, Elouma Pierre-Jean, Maître Gnali Gomez, Paul Ebonzibato, Aimé-Emmanuel Yoka, etc.

Sous le monstrueux ensevelissement de la mort, cette incongruité ostentatoire, maman quitte la vie. Tous ceux qui l’ont connue mêlent leurs voix à l’inexorable requiem, au milieu des vanités du monde. Au risque de me faire lyncher par ceux dont j’aurais omis les noms, au moment où le chœur entonne ce requiem, chant du cygne qui rappelle notre finitude en tant qu’être humain, je pense en particulier à Camille Bongou, Grégoire Lefouoba, Frédéric Obaka, Osseri Rémy, Jeannot Mokoyo, Alexis Vincent Gomès, Hugues Ngouélondélé, Rémy Ayayos, Edgar Nguesso, Férus Yoka, Ninèle, Djoudjou, Ados, Barthélemie, Gabriel Zambila, Marie Louise, Dieudonné et Christine Mamaty, Fatou, Blanche, Christine Mamaty, Jean-Nicolas et Aimé Bembé, Paul Lukanga, Bourlingueur, Gbanda, et aux Vikings-pirates. Paix éternelle, Maman.

MFUMU

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