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Jamais Kolonga

Samedi 21 Février 2015 - 11:35

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Une autre bibliothèque de la musique congolaise moderne s’en est allé dans le monde du silence. Jean Lema est mort. Il est passé à la postérité sous le pseudonyme de « Jamais Kolonga ». Ce petit nom, il le doit à Déchaud Mongala, qui, lors d’un concert de l’African Jazz, est impressionné par le culot de Jean Lema, ami intime de Kabasele qui osa, en pleine période coloniale, solliciter une danse à une Européenne qui  accepta complaisamment, à la grande surprise du public. À la fin de leur exhibition, lorsque Jean Lema revint sur l’estrade où se trouvait l’orchestre, Déchaud, qui en était littéralement ébaubi, s’écria : Jamais Kolonga ! Depuis, Jean Lema devint « Jamais Kolonga », immortalisé en 1962 par la chanson éponyme composée par Tino Baroza, à la demande de Joseph Kabasele. Dans le même registre on se souvient d’une autre chanson, cette fois-ci de son cru,  simplement intitulée, Laboga, du nom de son ami, parue quelques années avant.

Deux ans avant, en 1960, l’African jazz, composé de Kabasele, Vicky, Roger, Petit Pierre, Déchaud, Nico et Brazzos se rendit à Bruxelles, à l’initiative des frères Kanza (Philippe et Thomas), dans le cadre de la Table ronde politique. Ce voyage scella la rencontre de deux grandes figures de la chanson congolaise, Kallé et Vicky qui incarnaient la bipolarisation de la musique kinoise symbolisée par la lutte entre l’African Jazz et l’Ok Jazz. Mongongo ya Vicky mongongo ya Ok (la voix de Vicky est celle de l’Ok Jazz), chantait Franco.

La Table ronde politique belgo-congolaise eut lieu à Bruxelles du 20 janvier au 20 février 1960. Marcel Lihau, président de l’Association des étudiants noirs du Congo à Bruxelles, entre autres, milita pour la constitution d’un Front commun des forces congolaises qui devait parler d’une seule voix en face de l’ancienne métropole. Démarche judicieuse puisque le Front commun arracha aux Belges, l’accord d’indépendance. Au-delà de ce succès politique, l’histoire et le public mélomane ont surtout retenu le succès discographique Indépendance chacha, chanson circonstancielle, créée dans la foulée de cet accord historique qui devait ouvrir la voie de l’indépendance à la future République démocratique du Congo. Indépendance chacha permit à Kabasele de créer la première maison d’édition tenue par un Congolais. Les Éditions Surboum, c’est le nom de cette maison d’édition, firent, avec ce titre, une entrée fracassante dans un monde véritablement cannibalisé par les éditeurs grecs, Papadimitriou, Alexandre Jérénomidis et Dino Antonopoulos ; Benathar, un des pionniers de l’édition kinoise  ayant, vers la fin de la décennie 50, baissé pavillon. La Table Ronde politique de Bruxelles terminée, l’African Jazz rentra à Léopoldville, accueilli à bras ouverts sur le rythme endiablé d’Indépendance chacha.

« Jamais Kolonga ». Ce nom est aussi lié à cette chanson qu’il contribua à vulgariser et à populariser à la radio, avant l’arrivée de l’African Jazz à Léopoldville. Indépendance chacha est l’un des plus grands succès de la chanson congolaise et africaine. Elle a rythmé l’accession à l’indépendance d’une kyrielle d’anciennes colonies durant toute l’année 1960 et même après. Intarissable sur son ami et idole Joseph Kabasele, qu’il a côtoyé et accompagné jusqu’à son décès, le 11 février 1983,  « Jamais Kolonga » était, avec maître Kalala,  le dépositaire de sa mémoire. À son tour, il vient de quitter la terre des hommes. L’annonce de son décès, lundi 16 février dernier, a déclenché une onde d’émotion à Kinshasa et à Brazzaville où il comptait de nombreux amis, jeunes pour la plupart,  Jean-Claude Gakosso, Médard Milandou, Aka-Evy auxquels il faut ajouter les ‘’kalléphiles’’ comme Henri Ossebi, Honoré Mobonda, etc.

Pour les besoins de l’écriture de mon ouvrage, La musique congolaise du 20ème siècle, j’ai longuement rencontré « Jamais Kolonga » à Kinshasa, il y a quelques années. Esprit espiègle et enjoué, l’homme était d’une agréable compagnie. Lors d’un récent entretien avec mon ami Manda Tchebwa, le tout nouveau directeur général du Ciciba (Centre des civilisations Bantu) que Théophile Obenga avait contribué à mettre en orbite, nous formions le vœu de recueillir les témoignages de « Jamais Kolonga » sur Kabasele, sujet d’une prochaine publication collective. Le destin en a décidé autrement. Né le 24 juin 1935, « Jamais Kolonga » aurait eu 80 ans cette année. Que la terre de nos ancêtres lui soit légère !

Mfumu

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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